Cemac : montrez vos papiers, et payez !
Patrice Nganang est un écrivain camerounais
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Patrice Nganang
Écrivain camerounais, notamment auteur de « Temps de chien », prix Marguerite Yourcenar et Grand prix de la littérature d’Afrique noire. Il enseigne la théorie littéraire au sein du département Cultural Studies & Comparative literature à l’université de New York.
Publié le 10 juillet 2014 Lecture : 3 minutes.
Les tirailleurs sont sénégalais. Ce qui est extraordinaire, c’est que l’Afrique centrale ne soit pas reconnue pour ce qui lui a donné sa véritable matrice historique : l’arrivée par pirogue, en 1940, du lieutenant Leclerc sur la rive du Wouri, au Cameroun ; le ralliement de Félix Eboué, seul gouverneur noir de la France coloniale, à la résistance en exil du général de Gaulle ; la traversée épique du désert par des milliers de soldats qui libéreront la France du joug nazi. L’extraordinaire, c’est aussi que, alors que son histoire était en mouvement, la région soit devenue une terre condamnée à l’immobilité.
À la différence de l’Afrique de l’Ouest, le réveil citoyen n’aura toujours eu lieu, chez nous, qu’au terme de soubresauts sanglants. Les leaders camerounais de cette génération glorieuse – Um Nyobè, Ouandié – qui ont vu le général de Gaulle venir plusieurs fois par an dans leurs cours se procurer des soldats, seront exécutés dans le maquis, respectivement en 1958 et 1971, par les forces françaises, sur ordre du général et de ses hommes de main, anciens soldats de campagne de la Tripolitaine. Sur les débris de sociétés concessionnaires esclavagistes qui, en son temps, révoltèrent André Gide, se sont développées les racines de ce qui constitue, aujourd’hui encore, la tête de pont de l’autoritarisme et de l’arbitraire sur le continent.
L’émiettement de la région, que les us et coutumes auraient unie si facilement, rendrait le voyage de Gide impossible aujourd’hui.
Peut-on raisonnablement parler de culture commune au sein de la Cemac sans garder à l’esprit les minerais, le pétrole, le bois, qui sont fers de damnés aux pieds de ses citoyens ? L’émiettement de la région, que la forêt, ou tous autres us et coutumes, aurait unie si facilement, rendrait le voyage de Gide impossible aujourd’hui.
Et pour cause ! Je l’ai entrepris en décembre 2013, avec ma soeur souffrante. Nous voulions d’abord nous rendre au Congo, mais le citoyen camerounais que je suis a besoin d’un visa. Quelque 200 dollars et une semaine d’attente au minimum pour recevoir le document, sans doute indispensable à l’obtention du coup de tampon de Brazza… Nous irons donc au Gabon, par la route.
Le bon sens est mère de tous les problèmes en Afrique centrale ! « Pourquoi n’as-tu pas pris l’avion ? » me demanda-t-on par la suite. Mais c’était déjà trop tard ! Car la route qui mène de Yaoundé à Libreville n’est pas seulement la plus impraticable qui soit. C’est sans doute aussi la plus militarisée d’Afrique ! Passons sur les contrôles que je subis en territoire camerounais, qui me dépouillèrent de toutes mes liquidités alors que mes papiers étaient en règle. Il fallut bientôt affronter les contrôles gabonais – une vingtaine – exigeant tous de voir et mon passeport et ma carte de vaccination.
De voyageur, comment peut-on être réduit à un simple « porteur de passeport » ? Question cardinale pour la Cemac. L’absurde invente toujours son propre jargon.
De voyageur, comment peut-on être réduit à un simple « porteur de passeport » ? Question cardinale pour la Cemac.
L’absurde invente toujours son propre jargon. Ici, la xénophobie, à chaque fois, nous extrayait du car, nous, les « porteurs de passeport », pour nous obliger à nous aligner devant des officiers de police, de gendarmerie, des eaux et forêts, des frontières, de l’immigration et je ne sais plus de quel autre office, nous dépouillant à chaque fois, sans exception, de sommes allant de 5 000 à 20 000 F CFA (de 7,60 à 30 euros).
À un moment, il me fallut aller au seul distributeur automatique de billets planté à cet endroit, sachant que tout voyageur camerounais étant parvenu à ce point doit être délesté de tout son argent liquide.
Comment oublier le regard de cette femme, officier gabonais, qui, avisant ma soeur malade, sans compassion aucune, lâcha simplement : « Elle n’a qu’à mourir » ! Choqué, un jeune Gabonais me confia : « Cette région est trop compliquée. » Et comment donc ! Le panafricanisme a été éradiqué en même temps qu’ont été tués les leaders de la génération glorieuse.
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