Cemac : le « club des six » en état stationnaire

A priori, le club des six pays membres de la Cemac a tout pour réussir : une monnaie unique, une union douanière, des règles de convergence budgétaire… Et pourtant, ses échanges commerciaux restent faiblards.

Terminal pétrolier de Total à Djeno, près de Pointe-Noire, au Congo. © Antonin Bourgeaud pour J.A

Terminal pétrolier de Total à Djeno, près de Pointe-Noire, au Congo. © Antonin Bourgeaud pour J.A

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 8 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.

Pour évaluer les performances de la Cemac, mieux vaut lire entre les lignes des rapports publiés par les grandes organisations financières. Le Fonds monétaire international (FMI), notamment, n’en finit pas de vanter les vertus d’une monnaie unique, le franc CFA, qui a permis à l’inflation de rester faible dans les six pays de la Cemac, au coeur d’un continent pourtant peu réputé pour la modération de ses prix. Une réussite à mettre à l’actif de la Communauté, au même titre que son architecture institutionnelle, calquée sur celle de l’Union européenne.

« Si les six pays de la Communauté étaient parfaitement intégrés, ils gagneraient en moyenne deux points de croissance par an », estime un expert.

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Pilliers

Les piliers d’une intégration économique sont là : avec son tarif extérieur commun, ses règles de supervision bancaire et de convergence budgétaire, la Cemac est plus intégrée que les marchés communs d’Afrique australe et orientale.

Pourtant, avec une croissance dépassant rarement les 5 %, elle est économiquement inerte, en dépit de ses richesses en hydrocarbures, qui devraient stimuler ses taux.

Les points de convergence sont rares, et, au mieux, inaboutis. C’est le cas pour les infrastructures. Censées faciliter la circulation des marchandises d’un pays membre à l’autre, les routes et voies ferrées sont de piètre qualité, voire inexistantes.

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Chiffres Cemac

Les interconnexions des réseaux d’électricité relèvent le plus souvent de la chimère. Ainsi, le Tchad est classé bon dernier des pays de la zone franc pour sa couverture électrique. Pis, on voit fleurir, le long du littoral, des projets de ports en eau profonde qui semblent n’avoir d’autre but que de se concurrencer.

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Horizon

Enfin, la libre circulation des personnes reste un vain mot. La Guinée équatoriale et le Gabon refusent d’en entendre parler, par peur de voir affluer les chômeurs de leurs voisins moins bien lotis. L’horizon d’un passeport communautaire semble toujours aussi lointain.

L’index de la Fondation Mo Ibrahim, ainsi que le classement « Doing Business » de la Banque mondiale montrent également le très grand retard de la Cemac par rapport aux autres communautés économiques africaines en matière de lutte contre la corruption et de réglementation des affaires.

De son côté, la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi) a publié, en 2013, un rapport, destiné aux chefs d’État de la zone franc, insistant sur la faiblesse de l’intégration financière. Selon cette étude, « le taux de bancarisation est bas, les frais financiers sont élevés, le financement du secteur privé à moyen et à long termes demeure limité, et les marchés financiers restent peu actifs ».

Surprises

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L’intégration commerciale est, elle aussi, médiocre, note le même rapport, selon lequel les échanges entre membres de la Cemac ne dépassent pas 3 % de leur commerce total, alors que cette proportion s’élève à 10 % ou 12 % en Afrique de l’Ouest.

« Si les six pays de la Communauté étaient parfaitement intégrés, ils gagneraient en moyenne deux points de croissance par an », précise Patrick Guillaumont, président de la fondation Ferdi. Une progression considérable, sachant que le taux annuel moyen par tête s’est élevé à 1,7 % entre 1996 et 2006. Autant dire que la plupart des objectifs du millénaire, édictés par la fondation, ne seront pas atteints en 2014, à l’exception de ceux qui concernent la mortalité maternelle et infantile.

Pourquoi la Cemac, qui dispose d’une langue commune (le français) et d’une monnaie commune (le franc CFA), ne créerait-elle pas un fonds communautaire de stabilisation du pétrole, comme le lui suggère le FMI ? Ce fonds pourrait stocker entre 4 et 11 milliards de dollars (entre 3 et 8 milliards d’euros), amortir les variations excessives des cours des hydrocarbures et éviter aux populations de s’appauvrir en cas de crise. Le Tchad et le Congo parient sur la confirmation de la découverte de champs pétroliers dans leurs sous-sols respectifs.

De son côté, le Gabon espère de bonnes surprises dans ses eaux profondes. Mais, en attendant cette manne hypothétique, la baisse de la production pétrolière régionale dépasse les 3 % par an, et ce recul risque de poser des problèmes budgétaires à l’ensemble de la Communauté.

À fond dans les fonds souverains

Comme l’Algérie, le Botswana, l’Angola ou le Nigeria, les États d’Afrique centrale cèdent, ces dernières années, à la mode des fonds souverains. La Guinée équatoriale a été le premier pays de la zone à se positionner sur ce créneau, en créant, en 2002, son Fonds pour les générations futures, actuellement doté de 80 millions de dollars (59 millions d’euros), soit une goutte de pétrole pour un pays qui produit plus de 100 millions de barils par an.

Le Gabon, qui a lancé son Fonds souverain de la République gabonaise (FSRG) en 2012, s’est montré plus généreux. Estimé à 400 millions de dollars (295 millions d’euros), le FSRG est alimenté, entre autres, par un prélèvement de 10 % sur les recettes pétrolières, prévu dans la loi de finances, et s’inscrit dans la volonté de l’exécutif gabonais d’être plus actif dans la gestion des ressources du pays.

Les autres membres de la Cemac gardent, pour l’instant, l’arme financière au pied. Le Tchad n’a toujours pas respecté sa promesse, pourtant donnée à la Banque mondiale au lendemain des premières découvertes pétrolières, de mettre en place un tel instrument, pendant que le Congo continue d’y penser. Une loi a bien été adoptée en février, à Brazzaville, portant création du fonds congolais d’investissement, mais aucun montant ne lui a pour l’instant été alloué, et ses règles de financement n’ont pas été clairement définies.

Une tendance s’affirme néanmoins à l’échelle nationale. Reste que, pour un éventuel fonds Cemac, « il y a un pas qu’aucun État n’est encore prêt à franchir », assure un expert financier de la zone.

Nicolas Teisserenc

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