Fitna au GSPC

Principale organisation terroriste encore active, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat est ébranlé par les coups de boutoir de l’armée, mais surtout par les promesses d’amnistie générale du président Bouteflika.

Publié le 21 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Un émir émettant une fatwa contre son prédécesseur ? Phénomène banal dans l’histoire des groupes armés algériens. Toutefois, le communiqué d’Abdelwahab Droukdel, alias Abou Mossab Abdelwadoud, patron du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, voir p. 72), daté du 9 février 2005, accusant de haute trahison le fondateur et ancien chef de l’organisation, Hassan Hattab, l’est beaucoup moins.
Hattab est aujourd’hui retranché en compagnie de quelques fidèles, armés jusqu’aux dents, dans la forêt de Sidi Ali Bounab, dans la région de Boumerdès. Depuis quelques mois, il ferait campagne pour le compte du pouvoir afin de convaincre les djihadistes de déposer les armes et de retrouver la vie civile. Droukdel aurait découvert la trahison de Hattab quand ce dernier a pris contact avec l’un de ses lieutenants pour lui vanter le projet d’amnistie générale du président Bouteflika (voir J.A.I. n° 2299). « Le GSPC se désolidarise des agissements de Hattab qui a trahi Allah et son Prophète, s’est détourné de la voie du djihad et a vendu le sang des martyrs. » En outre, il est reproché à l’ancien chef du GSPC d’avoir usurpé le sceau de l’organisation pour diffuser de faux communiqués afin de semer la zizanie.
Le fondateur du GSPC réagit une semaine plus tard. Le 15 février, il rend public un communiqué pour prendre, à son tour, ses distances avec la nouvelle direction du GSPC. Il lui reproche un alignement sur les thèses développées par les GIA. En résumé, Droukdel se serait éloigné des principes de l’organisation « en s’en prenant à des objectifs civils, comme un vulgaire Djamel Zitouni ou l’ignorant Antar Zouabri ». Il est également accusé d’attitude nihiliste en s’opposant de manière systématique au projet de Réconciliation nationale, « en occultant sa portée bénéfique pour la Ouma ».
Pourtant, le dernier-né des groupes terroristes sévissant en Algérie s’est toujours distingué des autres mouvements islamistes armés par son sens de la discipline, la stabilité de ses structures et le choix de ses cibles, exclusivement militaires ou policières. En outre, il revendique officiellement son appartenance à la mouvance d’al-Qaïda.
D’ailleurs, certains cadres du GSPC plaident pour un changement d’appellation en Tandhim al-Qaïda fi bilad al-Barbar (« Organisation al-Qaïda en pays berbère »). Cette question aurait été soumise à l’appréciation du Comité des sages – sorte d’organe législatif – du GSPC, au lendemain de la transformation de l’organisation du Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, Tawhid oual Djihad, en « Organisation d’al-Qaïda en Mésopotamie » (Tandhim al-Qaïda fi bilad ar-Rafidain). Cette mutation avait reçu, en décembre 2004, l’aval d’Oussama Ben Laden.
Mais le GSPC est loin de disposer aujourd’hui des capacités opérationnelles de Zarqaoui. De plus, il a d’autres chats à fouetter. C’est pourquoi le Comité des sages n’a pas eu le temps de prendre une quelconque décision à propos du changement de sigle. En revanche, il s’est attardé sur le cas de Hassan Hattab.
L’histoire des frères Hattab se confond avec celle de l’islamisme armé en Algérie. Abdelkader, l’aîné des trois, avait pris le maquis en 1983. Il était alors le numéro deux du Mouvement islamique algérien (MIA, de Mustapha Bouyali). Ses deux jeunes frères, Mouloud et Hassan, ne l’avaient pas suivi, mais n’en pensaient pas moins. En 1987, le MIA est décapité, Abdelkader arrêté, jugé, condamné à mort puis gracié par Chadli Bendjedid. Six ans plus tard, les frères Hattab refont parler d’eux. En août 1993, ils assassinent Kasdi Merbah, ancien patron de la puissante Sécurité militaire (SM). Le ratissage qui suit l’attentat permet la neutralisation du groupe. Abdelkader et Mouloud y laissent la vie. Hassan réussit à s’échapper. Il avait un nom, il s’est fait un prénom.
Entré en clandestinité, Hassan Hattab rejoint les Groupes islamiques armés (GIA). Il est nommé émir de la zone II, la Petite et la Grande Kabylie. En 1997, il rompt avec Djamel Zitouni, à qui il reproche sa stratégie de terreur à l’égard des populations et les massacres collectifs qu’il commandite. Hattab crée le GSPC et fait la guerre aux GIA dans son fief kabyle. Le « prestige » de son nom contribue à rallier de nombreux cadres des GIA à la nouvelle organisation. Celle-ci ne fait pas mystère de ses liens avec al-Qaïda, les indépendantistes tchétchènes et les moudjahidine en Bosnie.
Hattab structure son mouvement, attribue le commandement de la région Est à Abderrezak el-Para, la zone Sud échoit à Mokhtar Belmokhtar, alors que le Comité des sages est confié à Abou Moussab Abdelwadoud.
Nous sommes en 1999. Bouteflika vient d’être élu président de la République et prône une politique de concorde civile, avec, à la clé, une grâce amnistiante. Des contacts sont établis avec Hassan Hattab, mais ce dernier rejette l’idée d’une reddition. Le projet de Bouteflika est mené à son terme. Le GSPC enregistre de nombreuses défections, même si le gros des troupes reste fidèle au chef.
En juillet 2003, Hassan Hattab convoque une session du Comité des sages. Objet de la rencontre : évaluation de l’étape à venir. Contre toute attente, Hattab demande à ses lieutenants de le décharger de la direction, sans autre explication. Le Comité pare au plus pressé : lui trouver un successeur. Nabil Sahraoui, alias Abou Ibrahim Mustapha, est désigné. Son règne ne dure que dix mois. En juin 2004, il est abattu en compagnie de quatre compagnons dans la région de Bejaïa. Le coup est rude, et la succession peu évidente. Le Comité des sages désigne son chef, Abou Moussab Abdelwadoud, pour prendre la direction du GSPC. Hattab sombre dans l’anonymat, et son sort fait l’objet de nombreuses spéculations.
Le communiqué du nouvel émir en date du 9 février 2005 nous en apprend un peu plus. Hattab aurait « démissionné de ses fonctions par défaitisme », assure le patron du GSPC. Le doute a pris le dessus sur les convictions de l’homme depuis le 11 Septembre, explique Abou Moussab Abdelwadoud, qui reproche au fondateur du Groupe salafiste d’être tombé sous le charme du taghout (« tyran », terminologie islamiste pour désigner le pouvoir) et de sa politique de réconciliation nationale.
Le gouvernement n’a pas jugé utile de commenter « la littérature du GSPC ». Toutefois, selon le quotidien arabophone El-Khabar, les unités de l’armée qui composent le dispositif de maillage de la forêt de Sidi Ali Bounab auraient reçu des ordres pour un repli devant permettre aux hommes de Hattab de se déplacer et de faire campagne dans les maquis. Il est vrai que le temps presse. Le référendum sur l’amnistie générale est prévu avant la fin 2005.

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