Du bon usage du brut

Le pays est devenu l’an dernier le troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, loin derrière les géants nigérian et angolais, mais devant ses voisins gabonais et congolais.

Publié le 21 février 2005 Lecture : 4 minutes.

Un gros point jaune au large dans la nuit. À une cinquantaine de kilomètres de l’île de Bioko, la torchère du gisement de Zafiro, qui illumine la mer, est là pour rappeler que la Guinée équatoriale est devenue un eldorado pétrolier. La compagnie américaine ExxonMobil extrait chaque jour près de 300 000 barils de brut de ce champ offshore – découvert en 1995 – qui est venu chambouler le destin du pays. L’histoire commence, en fait, à la fin des années 1980. Un homme assis à la terrasse d’un hôtel surplombant le port sirote un verre… « Ce pays regorge de pétrole. Je reviendrai », glisse Chester Edward Morris à l’un de ses collaborateurs. Ambassadeur des États-Unis en Guinée équatoriale, l’homme tient parole. Après avoir quitté son poste, il crée la compagnie pétrolière Walter International en 1991 et négocie le rachat du gisement d’Alba auprès de l’opérateur espagnol Cepsa, au large de l’île de Bioko. Un an plus tard, en mars 1992, l’or noir commence à jaillir, mais la production est limitée à 22 000 barils/jour. Le véritable décollage a lieu au milieu des années 1990, à la suite des découvertes des gisements de Zafiro par ExxonMobil (80 % de la production actuelle), puis de Ceiba par Triton, aujourd’hui Almerada Hess. Depuis, la production de brut n’a cessé de grimper : elle est actuellement évaluée à 365 000 barils par jour, contre 300 000 en 2003 et 57 000 en 1997. Si les compagnies texanes ont pris une longueur d’avance, l’or noir équatoguinéen attire de nouveaux aventuriers, comme le malais Petronas ou l’espagnol Repsol, à la recherche de gisements rentables. Ce dernier a racheté en novembre 2002 le dernier permis d’exploration de Total. La France a laissé le soin à ses concurrents d’exploiter le potentiel du pays. Pourtant, le président Obiang Nguema comptait sur Paris pour constituer une alternative à la toute-puissance américaine. Gêné par le développement de l’affaire Elf à partir de 2000 et préférant garder un lien très fort avec le Gabon d’Omar Bongo Ondimba, Total se contente d’être présent dans la distribution. Ce qui n’empêche pas Paris et Malabo d’entretenir d’excellentes relations, la France donnant de « sages » conseils au président équatoguinéen pour qu’il gère au mieux les importantes retombées de l’or noir.
En quelques années, la Guinée équatoriale est passée du statut de pays moins avancé (PMA) à celui d’émirat pétrolier aux richesses inouïes. Les revenus des hydrocarbures représentent 90 % du budget de l’État. Mais la nouvelle richesse du pays ne profite pas à tous de la même manière. Les principaux gagnants sont les pétroliers texans. « C’est du jamais vu. Les premiers contrats de partage étaient outrageusement avantageux pour les compagnies américaines. Les intérêts de l’État n’étaient que de 3 % dans le champ d’Alba et de 5 % dans ceux de Zafiro et de Ceiba », indique-t-on au ministère de l’Économie et des Finances. Aujourd’hui, le pays a retrouvé le sens de la négociation avec les nouveaux arrivants. Le prélèvement étatique est de plus en plus important. Le système actuel prévoit le versement de royalties comprises entre 10 % et 16 % de la production. S’y ajoute la participation de l’État dans l’activité. Elle part de 0 % en début d’exploitation et monte jusqu’à 50 % en fin de vie du champ. Enfin, l’État prélève aujourd’hui 15 % des bénéfices au lieu de 3 % dans les années 1990.
« Globalement, 75 % du chiffre d’affaires de l’activité pétrolière va encore aux majors, contre 25 % à l’État. Mais, avec l’entrée en production des nouveaux champs, la part étatique devrait monter à 40 % », précise le ministère de l’Économie et des Finances.
À l’échelle nationale, le pétrole a creusé l’écart entre une petite élite et la majeure partie de la population. Selon le FMI, 80 % des Équatoguinéens vivent encore en dessous du seuil de pauvreté. En juillet 2004, une enquête du Sénat américain a dévoilé l’existence de comptes de particuliers sur lesquels est versée une partie des revenus du pétrole. Ce que contestent les autorités, expliquant qu’il s’agit d’avoirs de l’État. Malabo, qui a récemment repris langue avec le FMI, semble, en tout cas, manifester son souhait d’adhérer à l’Initiative internationale de transparence dans les industries extractives (EITI). La Guinée équatoriale disposerait d’environ 700 milliards de F CFA de réserves financières constituées grâce aux revenus pétroliers. Les bailleurs de fonds et l’opposition attendent que cette enveloppe soit utilisée à bon escient pour développer le pays et enrayer la pauvreté. L’économie nationale doit impérativement se diversifier. En commençant notamment par la relance des activités agricoles. Florissante sous la colonisation espagnole, l’exploitation des cultures d’exportation – café, cacao et bois – est aujourd’hui totalement marginalisée et n’en finit plus de décliner. Les paysans, atteints de fièvre pétrolière, ont délaissé leurs champs pour les emplois sur les plates-formes ou dans la construction. Le système éducatif a besoin d’être complètement revalorisé. « Je préfère me saigner pour mettre mes enfants dans un établissement privé plutôt que de les laisser à l’école publique, où les enseignants sont très fréquemment absents et peu motivés », explique Juan, chauffeur de taxi de son état. La population espère également une profonde modernisation du système de santé et des infrastructures sociales. Des attentes auxquelles les autorités devront répondre si elles ne veulent pas un jour se voir reprocher de n’avoir rien fait de cette manne tombée du ciel.

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