Des auditions, pour quoi faire ?

Dénonçant les insuffisances et les « compromissions » de l’Instance Équité et Réconciliation, une ONG organise ses propres séances de témoignages.

Publié le 21 février 2005 Lecture : 3 minutes.

L’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) conteste le travail réalisé par l’Instance Équité et Réconciliation (IER), mise en place par Mohammed VI en janvier 2004 pour enquêter sur les violations des droits de l’homme commises au Maroc entre 1956 et 1999. La constitution de cette Instance est l’aboutissement de la lutte menée depuis vingt ans par les militants des droits de l’homme. Au cours de l’année 2004, elle a recueilli plus de 20 000 témoignages et identifié 16 000 victimes, dont plus de 500 cas de disparition. Depuis le 22 décembre 2004, elle organise des auditions publiques de victimes à travers le royaume, retransmises (en direct ou en différé) par la télévision marocaine.
L’IER est toutefois soupçonnée de compromission par certains militants des droits de l’homme, dont l’AMDH. Le travail de l’IER est insuffisant, estime en substance l’association. Elle reproche à l’Instance de cautionner l’impunité des responsables des violations, de ne pas favoriser une véritable réconciliation – car « cela supposerait que les responsables des violations puissent être interpellés et qu’ils soient également demandeurs de réconciliation » -, d’interdire aux témoins de nommer leurs tortionnaires lors des auditions publiques, et enfin de ne pas s’intéresser aux abus commis depuis 2001 dans le cadre de la lutte antiterroriste.
C’est pourquoi l’AMDH a décidé d’organiser ses propres auditions. Des « témoignages en toute liberté pour la vérité », qui portent sur les abus commis entre 1956 et 2005 et durant lesquels tout peut être dit, y compris le nom des bourreaux – qui sont d’ailleurs connus depuis longtemps. La première séance s’est tenue à Rabat le 12 février, dans une salle prêtée par le ministère de la Culture, un geste salué par le président de l’AMDH, Abdelhamid Amine, lors de son discours d’ouverture.
Deux hommes et sept femmes ont témoigné devant plus de 600 personnes, dans une salle archi-comble. Parmi eux, une femme d’origine italienne, qui a pris la parole au nom de son époux condamné à neuf ans de prison au lendemain des attentats de Casablanca, ainsi que l’avocat Ahmed Benjelloun, plusieurs fois emprisonné et frère du défunt Omar Benjelloun (célèbre militant d’extrême gauche) qui s’en est pris directement à l’État : « Le régime politique marocain est en cause, a-t-il déclaré. Driss Basri n’était qu’un petit exécutant. »
Fouad Abdelmoumi, membre de l’association dont il a longtemps été le vice-président, est tout aussi catégorique : « Seuls des pouvoirs séparés et indépendants, sans sacralité aucune, peuvent garantir le respect des droits humains fondamentaux. C’est pourquoi l’IER, qui est un organe exécutif de l’État, est une caution parmi d’autres de la persistance d’un État de non-droit. »
À l’IER, cette virulence surprend. Certes, l’Instance a choisi de promouvoir le respect des droits de l’homme sans remettre en question le système monarchique. Mais cela ne l’empêche pas d’organiser des débats publics sur ces questions jusque-là taboues. La première séance, diffusée à la télévision le 16 février, portait par exemple sur « la transition démocratique, l’évolution du système marocain et les expériences internationales de justice transitionnelle ». L’IER estime par ailleurs que si les auditions de l’AMDH sont une activité « normale et légitime » et qu’elles font suite à celles déjà organisées par le Forum Vérité et Justice au cours de l’année 2004, leur objectif est flou : « En quoi aident-elles à clarifier les raisons de ces violations et la façon dont elles ont été commises ? »
La proposition de l’association d’organiser, le 14 mai, un procès symbolique pour les responsables des violations les plus graves ne rencontre ainsi guère d’écho chez les membres de l’Instance. L’un d’eux, Driss el- Yazami, explique que « la mise en place d’un dispositif cohérent et global de lutte contre l’impunité est une vraie question qui ne peut se résumer à une affaire de symbole ». Selon lui, il faut définir les réformes à entreprendre, notamment celles concernant le code pénal marocain. Un point de vue que partage la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et son directeur, Antoine Bernard, qui déclare que « l’un des enjeux majeurs pour les ONG marocaines et internationales est d’alimenter les recommandations que va faire l’IER à l’issue de son travail ». L’Instance consignera en effet dans son rapport final à paraître fin avril ses propositions sur les réformes juridiques et institutionnelles à engager pour s’assurer que de telles violations ne puissent plus se reproduire. Reste à savoir si elles seront prises en compte, et comment.

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