Ce qui fait courir la Cedeao

Abidjan, Monrovia, Bissau et maintenant Lomé. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest est sur tous les fronts. A-t-elle les moyens de ses ambitions ? Jusqu’où peut-elle aller ? Enquête.

Publié le 21 février 2005 Lecture : 6 minutes.

S’il y a un nom qui revient sans cesse dans la crise de succession consécutive à la mort, le 5 février, de Gnassingbé Eyadéma, c’est bien celui de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Elle condamne, ordonne, menace de sanctions, rallie à ses positions la France, l’Union africaine (UA), les Nations unies, l’Union européenne… À moins qu’elle ne serve d’alibi à toutes ces institutions chaque fois que le feu prend aux poudres dans un pays membre.
Dès le 6 février, l’organisation d’intégration sous-régionale a dépêché à Lomé une mission d’observation composée de son secrétaire exécutif, Mohamed Ibn Chambas, et de la ministre nigérienne des Affaires étrangères, Aïchatou Mindaoudou. Puis convoqué, trois jours plus tard, à Niamey une « session extraordinaire sur le Togo », à laquelle ont pris part neuf chefs d’État de l’Afrique de l’Ouest ainsi que le président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré. Le conclave s’est épargné toute fioriture diplomatique pour ordonner le respect strict de la Constitution à Lomé, et la « rétractation » de tous les actes posés depuis le 5 février pour organiser la succession d’Eyadéma. Faute de s’y conformer, la Cedeao menace les nouvelles autorités de sanctions prévues dans l’article 45 de son Protocole sur la bonne gouvernance et la démocratie. Après avoir reçu le 15 février une délégation de la Cedeao, Faure Gnassingbé s’est lui-même rendu à Abuja le 17 pour y rencontrer Olusegun Obasanjo, président en exercice de l’UA.
Extraordinaire mutation que celle de cette organisation à laquelle ses pères fondateurs avaient assigné comme mission, le 28 mai 1975 à Lagos, l’intégration économique en Afrique de l’Ouest, l’abolition des restrictions au commerce sous-régional, la garantie de la libre circulation des personnes, des biens et des services, la création d’un vaste marché commun ouest-africain et d’une union monétaire… ! Détournée à son corps défendant de sa vocation économique originelle dès 1989 par une violente guerre civile au Liberia, la Cedeao est aujourd’hui devenue plus que toute autre chose un instrument de règlement des conflits. Du Liberia à la Sierra Leone, de la Guinée-Bissau à la Côte d’Ivoire, elle est allée de guerres civiles en coups d’État, de médiations en interpositions… tout d’un coup promue au rang de gardien de la paix qui n’a pas toujours les moyens de ses ambitions.
Au premier rang des facteurs qui ont fait basculer l’organisation, l’instabilité chronique et contagieuse qui secoue sa zone d’intervention depuis la fin des années 1980. La guerre civile au Liberia a dicté la nécessité de monter une force d’interposition et de maintien de la paix. Réuni le 6 août 1990 à Banjul (Gambie), le Comité permanent de médiation de la Cedeao a mis en place l’Ecowas Ceasefire Monitoring Group (Ecomog, « groupe de contrôle de la Cedeao chargé de la mise en oeuvre du cessez-le-feu », en français). Force de maintien de la paix, alimentée par onze pays de la sous-région, dont principalement le Nigeria, l’Ecomog a compté jusqu’à 20 000 hommes en 1994, au plus fort de sa présence au Liberia. Restée dans le pays jusqu’en 1999 (deux ans après la victoire électorale de l’ancien chef de guerre Charles Taylor), elle a vu son mandat élargi à la Sierra Leone en proie à une guerre fratricide depuis 1991. Sa mission ? Surveiller l’application de l’accord signé sous les auspices de la Cedeao le 7 juillet 1999 à Lomé entre le gouvernement légitime de Tejan Kabbah, le Front révolutionnaire uni (RUF) de Foday Sankoh, et la junte militaire de l’AFRC. Avec 15 000 hommes, la force ouest- africaine s’est attelée au programme de désarmement, démobilisation et réintégration avant de passer le relais, en mai 2000, à la Mission des Nations unies en Sierra Leone (Minusil).
Le règlement des conflits passionnant davantage l’opinion et les médias que les projets d’intégration économique, l’Ecomog a acquis en quelques mois une plus grande popularité que la Cedeao elle-même. Grâce à son bras armé, celle-ci a gagné en crédibilité et en reconnaissance auprès de l’UA et de l’ONU au point d’être ouvertement érigée en exemple par ses homologues : la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC)… Son Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits adopté le 10 décembre 1999 a commencé à faire école. Et les institutions de financement (Banque mondiale, Banque africaine de développement, Union européenne, Fonds arabes…) ont fini, dans un souci de cohérence et d’efficacité, par soutenir la Cedeao sur des chantiers communautaires, au lieu de dupliquer les mêmes projets d’un État membre à un autre. C’est le même souci qui va amener, à partir de 2001, le Nepad à faire de l’organisation la cheville ouvrière de tous ses projets dans la région. Mais a-t-elle les moyens d’être présente sur tous les fronts ? Pas toujours. Même si le pedigree et l’entregent de ses dirigeants au cours des dernières années l’ont aidée en termes d’image et de collecte de fonds.
De 1997 à 2001, elle a eu comme secrétaire exécutif le Guinéen Lansana Kouyaté, actuel représentant spécial de l’Organisation internationale de la Francophonie à Abidjan, diplomate expérimenté, doté d’un riche carnet d’adresses acquis dans le cadre des Nations unies. Son successeur, Mohamed Ibn Chambas, est un ancien secrétaire d’État aux Affaires étrangères ghanéen qui a eu à participer aux missions du Commonwealth pour le passage à un régime constitutionnel au Nigeria (enterrant le règne des militaires), en Sierra Leone et en Gambie.
Avec quelque 264 personnes au secrétariat exécutif et ses 84 millions de dollars de budget pour 2005, la Cedeao a aujourd’hui réglé – pour son fonctionnement – ses problèmes de trésorerie après avoir été handicapée depuis sa création par des arriérés de cotisations. Depuis 2003, ses comptes ouverts dans la banque centrale de chaque État membre reçoivent directement l’équivalent de 0,5 % de la valeur des importations hors communauté. Une relative bonne santé financière renforcée par le concours d’institutions comme la Banque africaine de développement (BAD) qui, en 2004, est venue en appoint en vue de la mise en place d’un Fonds pour la paix doté d’une enveloppe de 15 millions de dollars. Mais l’organisation n’en continue pas moins de solliciter l’extérieur pour financer ses opérations de maintien de la paix. Les quelque 1 400 hommes de sa mission en Côte d’Ivoire (Miceci) sont entretenus par la communauté internationale depuis janvier 2003. En plus de l’apport – limité – du principal contributeur nigérian, l’organisation recourt à l’UA, à l’Onu et à d’autres partenaires pour pouvoir agir.
Le Nigeria, 49 % du PIB de la sous-région, principal pourvoyeur de soldats de l’Ecomog, et qui abrite 130 millions des 253 millions d’habitants de la communauté, n’a pas les moyens d’assumer le leadership régional qu’il revendique. Malgré les 2 millions de barils de pétrole qu’il produit par jour. Voisin du Togo, président en exercice de l’UA, patron politique de fait de la Cedeao, le numéro un nigérian n’en a pas moins vu une partie de sa délégation interdite – officiellement pour raison de sécurité – d’atterrir à Lomé, le 10 février.
C’est, entre autres, l’illustration des fortunes diverses de la communauté dans son rôle de gendarme sous-régional. Si elle a réussi à faire signer un cessez-le-feu en Côte d’Ivoire le 17 octobre 2002, sous l’égide d’Abdoulaye Wade, alors son président en exercice, elle a, par la suite, vu le règlement de la crise lui échapper au profit de la France, puis du président sud-africain Thabo Mbeki, pour n’être qu’une entité « associée » au dossier. Le pourrissement de la situation en Côte d’Ivoire (14 % du PIB de la communauté), rappelle les limites du rôle pacificateur de la Cedeao. Tout comme la précarité de la situation au Liberia et surtout en Guinée-Bissau. Après avoir été doté d’un gouvernement (civil) de transition après le coup d’État qui a renversé Kumba Yalla, ce dernier pays a connu de sanglantes mutineries les 6 et 7 octobre 2004, et n’est pas encore sorti d’affaire.
Son cas a d’ailleurs été encore abordé au sommet de l’organisation (le 19 janvier à Accra). Mais comme Sisyphe, celle-ci initie, avance laborieusement, se heurte à des obstacles et recommence. Le cas togolais ne devrait pas faire exception.

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