Ballon des champs, ballon des villes

Organisés à perte sur le continent, les matchs amicaux entre sélections nationales font recette en Europe. Un phénomène lié à l’exil des joueurs professionnels.

Publié le 21 février 2005 Lecture : 4 minutes.

Douze mille spectateurs payants le 8 février au stade Robert-Diochon à Rouen pour le match amical Côte d’Ivoire-RD Congo ; 9 000 le lendemain au stade Dominique-Duvauchelle à Créteil pour Cameroun-Sénégal et 5 000 le même soir au stade Auguste- Delaune à Saint-Denis pour Guinée-Mali, en dépit de la concurrence de France-Suède qui se déroulait au Stade de France. Dans l’Hexagone, le ballon d’Afrique attire du monde (plus de 200 000 euros de recettes aux guichets pour les trois rencontres, sans oublier les droits de retransmission acquis par Eurosport).
Mais ce n’est là que l’arbre qui cache la forêt, car le football africain est aujourd’hui coupé en deux. Sa tête (son élite) vit, joue et brille en Europe. Son corps, autrement dit la masse des pratiquants, est resté en Afrique où il se morfond dans le relatif anonymat des compétitions nationales ou continentales. Si tous les expatriés sont des professionnels bien rétribués, leurs frères du continent « professionnels à l’africaine » ou non-amateurs, tapent aussi dans le ballon pour de l’argent – beaucoup moins, il est vrai – et ne rêvent que d’exil doré. Résultat : une élite à deux niveaux.
Il y a d’abord celle massivement afro-européenne (parfois afro-asiatique) qui ne retrouve ses racines qu’à l’occasion des éliminatoires ou des phases finales de la Coupe du monde ou de la Coupe d’Afrique des nations. Et puis celle qui est afro-africaine. Elle est à usage local et doit au mieux se contenter de participer aux Coupes d’Afrique des clubs ou aux tournois de zone. La première, privilégiée, a droit à l’attention des instances de tutelle. Aucune fédération de football, quelle que soit son importance, n’envisage aujourd’hui de constituer une sélection nationale sans faire appel à ses joueurs expatriés. Aucun entraîneur ne peut se passer des talents exilés. « Aucun joueur local, assène Henri Michel, le coach de la Côte d’Ivoire, n’a le niveau pour jouer avec les Éléphants. »
Cinq des six équipes nationales présentes à Rouen, Créteil et Saint-Denis sont dirigées par des techniciens non africains : les Français Henri Michel, Claude Leroy (RD Congo), Guy Stephan (Sénégal) et Patrice Neveu (Guinée), et le Portugais Artur Jorge (Cameroun). Toutes les cinq sont en course pour un ticket pour la phase finale du Mondial 2006. De tous les joueurs alignés les 8 et 9 février, deux seulement jouent au pays : les Congolais Pascal Kalemba et Mutamba Milambo (FC Lupopo). Par ailleurs, la dispersion des joueurs d’élite dans les divers championnats européens contraint les entraîneurs à résider le plus souvent en… Europe, où ils peuvent plus facilement suivre leurs performances et contrôler leur forme, établir des contacts avec leurs clubs avant de les réunir pour des stages ou des matchs de préparation.
Leurs employeurs ne s’y opposent pas, car ils sont assurés de récupérer rapidement leurs salariés. « Les dates des matchs amicaux, précise le vice-président de la Fédération sénégalaise (FSF) Mbaye Ndoye, sont fixées de telle façon que les internationaux jouent avec leurs clubs respectifs trois jours avant et trois jours après. Ce qui est pratiquement impossible quand il faut les faire venir à Dakar. » Faire, par exemple, voyager les El Hadji Diouf, Khalilou Fadiga, Pape Bouba Diop, Henri Camara et autre Amdy Faye d’Angleterre à Paris coûte moins cher à la FSF que de les inviter à Dakar. Il en est de même chez les Ivoiriens : à part Jean-Jacques Tizié, qui joue à Tunis, tous les autres Éléphants évoluent en France, en Belgique et en Angleterre. Les professionnels camerounais sont en France, en Angleterre et en Espagne, les Congolais en Allemagne, en Belgique, en France, en Suisse et en Turquie.
Quand tous les sélectionnés se retrouvent à Rouen ou à Paris, ils ne sont pas… dépaysés : ils retrouvent les mêmes facilités d’entraînement, le même suivi médical, le même confort que dans leurs clubs ainsi que le même environnement professionnel notamment au plan de l’arbitrage. Tous les expatriés ne se privent pas d’insister sur un autre avantage : se produire sur des pelouses de qualité où ils peuvent se livrer sans un très grand risque de blessures. Le gazon n’y a rien à voir avec les terrains durs, chauves et bosselés des stades d’Abidjan, Dakar, Yaoundé ou Kinshasa.
Programmer un match de préparation en France pour une sélection africaine permet aussi à l’association nationale de faire des économies, si ce n’est des bénéfices. Mbaye Ndoye affirme que « un match amical à Dakar, c’est un déficit de 80 millions F CFA [122 000 euros]. Il revient entre 140 et 160 millions. Inviter le Cameroun aurait coûté au moins 80 millions de F CFA. Les recettes aux guichets n’auraient pas dépassé 120 millions. D’où un trou de 80 millions ». « Organiser des matchs en France, estime Gaël Mahé, agent de matchs UEFA et Fifa et directeur de l’agence Sport Global Management basée à Genève, est plus pratique pour les joueurs et les fédérations, à condition toutefois de proposer des affiches intéressantes et de choisir des villes sevrées de football de haut niveau. Ainsi le public se déplace beaucoup plus facilement. »* Et d’ajouter : « Pour ma part, j’avance tous les frais, et je tire ma rémunération des revenus annexes, c’est-à-dire les droits télévisuels, les billets d’entrée et la sponsorisation. Je prends 40 %, et je reverse 30 % à chacune des deux fédérations. Je viens d’organiser Côte d’Ivoire-RD Congo à Rouen, Guinée-Mali à Saint-Denis et Guinée-Châteauroux à Vierzon. » Il arrive aussi que la fédération confie un budget à l’organisateur. La FSF a ainsi procédé avec l’agence Foot Élite et le magazine Afrique Football, qui ont mis sur pied Sénégal-Cameroun à Créteil.

* France Football du 13 février 2005

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