Albert Tévoédjrè
Ancien ministre béninois et ancien représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire.
Professeur, intellectuel, homme politique, de culture et de médiation, auteur de nombreux livres (dont La Pauvreté, richesse des peuples, ouvrage culte dans les milieux tiers-mondistes en Afrique, publié aux Éditions sociales en 1978) et articles, haut fonctionnaire pour les Nations unies, instigateur de nombreux groupes de réflexion… Difficile de tout dire sur Albert Tévoédjrè, tant il a eu – et a toujours – des activités multiples. De passage à Paris avant de s’envoler pour la Martinique, où l’attend un ami et frère nommé Aimé Césaire, il est venu expliquer à Jeune Afrique/l’intelligent les projets qu’il compte lancer dans un futur proche.
Il revient d’une longue mission, celle de représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire. « J’y étais parti pour un mois, j’y suis resté deux ans », dit-il en riant. Deux ans de travail acharné, d’espoirs et de déconvenues pour faire avancer le processus de paix et réconcilier un pays coupé en deux par la crise née de la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002. Après le blocage des accords de Marcoussis (janvier 2003), Albert Tévoédjrè a obtenu l’organisation de la réunion dite d’Accra III (juillet 2004), destinée à remettre en marche les négociations. La reprise des hostilités, le 4 novembre 2004, a ruiné une fois encore les avancées. Le professeur Tévoédjrè décide de jeter l’éponge et démissionne fin novembre. « Je souhaite au président Thabo Mbeki de réussir, déclare-t-il aujourd’hui. Chaque médiateur a sa méthode. Cela dit, il a ses limites… La langue, la culture, la relation d’État à État, tout cela n’est pas loin de constituer des handicaps. Toutefois, le problème n’est pas de son côté, mais de celui des Ivoiriens. » Parmi les leçons qu’il tire de cette expérience, il en retiendra une : le manque de patience des hommes politiques contemporains.
À 76 ans, il a vécu tant d’événements et vu le monde se bouleverser si souvent qu’il en a acquis une sagesse certaine, celle qui lui fait désormais prendre le temps de l’écoute et de la réflexion. « Il semblerait que les Africains ne soient pas capables de la patience intellectuelle qui permet de résoudre les problèmes liés au partage du pouvoir. » De ce constat est née une idée nouvelle : associer (dans l’esprit des élites politiques, des cadres et des intellectuels) la culture de la mobilité à la notion de pouvoir – ou, à tout le moins, de gouvernance. Il faut parvenir à ce qu’ils aient conscience que tout passage dans un gouvernement, à quelque niveau que ce soit, ne peut être que limité dans le temps. Chacun doit apprendre à rebondir dès l’instant où sa mission s’achève. Un nouveau projet ? « Par l’intermédiaire de colloques, de séminaires, de think-tanks. Je souhaite organiser un mouvement de résistance démocratique internationale. Il prendrait en charge le silence des peuples soumis ou momentanément anesthésiés par des systèmes politiques tyranniques. Ainsi il ne serait plus nécessaire de prendre les armes pour se faire entendre. Les élites, les magistrats, les hauts fonctionnaires apprendraient à avoir du courage politique. »
Tout devrait débuter en octobre 2005. Albert Tévoédjrè a déjà pris des contacts avec l’Unesco et l’Agence internationale de la Francophonie, mais il négocie également des interventions dans des universités de Madrid, pour se « libérer de la chape africaine francophone ». Il envisage également d’aller donner quelques cours à Abidjan, à l’université (privée) de l’Atlantique, dirigée par Aliou Mané, qui forme les dirigeants africains de demain. « Tous les cercles peuvent former des leaders courageux, capables de comprendre le fonctionnement du pouvoir, de refuser la permanence facile. » Plus largement, Tévoédjrè s’adressera aux « bâtisseurs d’opinion, que ce soient les religieux, les acteurs culturels, les philosophes », tous auront un rôle à jouer.
Avant de partir pour Fort-de-France, Albert Tévoédjrè est passé à la fameuse librairie parisienne Présence africaine pour se procurer à nouveau La Tragédie du roi Christophe, d’Aimé Césaire. « Je veux discuter avec lui des raisons pour lesquelles il a écrit ce texte. Il n’est pas uniquement fondateur du concept de négritude – avec Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas -, il a aussi réfléchi sur le phénomène du pouvoir et l’empreinte des puissants sur l’Histoire. Cinquante ans de vie publique ne sont pas parvenus à faire changer mes convictions. Je me suis engagé pour les indépendances africaines après avoir lu le Discours sur le colonialisme [du même Aimé Césaire, NDLR]. Vous voyez, je retourne aux sources. »
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