[Tribune] Comment la transparence et la communication peuvent aider à vaincre Ebola
L’épidémie d’Ebola qui frappe la RDC depuis 2018 est particulièrement meurtrière. Elle est également très éprouvante pour les équipes soignantes, confrontées à la méfiance voire à l’hostilité des populations. Le Pr Edmond Bertrand insiste sur la nécessité de traiter les causes de cette défiance, en modifiant les méthodes et la communication et en agissant en toute transparence.
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Edmond Bertrand
Doyen honoraire de la faculté de médecine d’Abidjan, membre correspondant de l’Académie française de médecine
Publié le 7 janvier 2020 Lecture : 3 minutes.
Depuis août 2018 sévit en République démocratique du Congo la treizième épidémie due au virus Ebola – certains disent la vingtième – depuis sa découverte, en 1976. Le bilan d’une année est de 3 500 cas détectés et de 2 000 morts. Cette dernière épidémie est celle au cours de laquelle les équipes soignantes se heurtent le plus à la méfiance, et même à l’hostilité, des populations menacées par la maladie, notamment dans la région de l’Est, très perturbée par des « milices armées politico-mafieuses ».
On déplore 132 attaques violentes contre des équipes, agressées physiquement, avec enlèvements et meurtres, et dont les locaux et le matériel sont détruits. La population est trompée par de fausses informations : les Occidentaux viendraient pour diffuser la maladie et non pour la combattre, ils feraient des trafics d’organes et camoufleraient des recherches d’uranium et d’or, ils stériliseraient les femmes !
Communication et transparence
Le professeur Denis Malvy – en compagnie de son équipe de volontaires bordelais – s’est rendu sur place et a très courageusement affronté les difficultés. Son intervention, le 15 octobre, à l’Académie de médecine a été saisissante de vérité et d’honnêteté. Il faut, selon lui, traiter les causes de cette hostilité en modifiant les méthodes et la communication et en agissant en toute transparence.
– Il faut d’abord rappeler que le traitement est efficace, bien que de façon encore insuffisante : lors des premières épidémies, les malades non traités avaient une mortalité effroyable de 90 % et plus ; actuellement, elle est de 65 % à 70 %. C’est encore beaucoup trop, mais c’est tout de même 30 % de malades guéris.
Les malades décédés ne doivent pas être « volés » à leurs familles, ils doivent avoir des rites funéraires dignes et sécurisés
– Les malades ne doivent pas être « cachés ». Denis Malvy a eu l’heureuse idée de traiter les patients dans des cases aux parois transparentes disposées en cercle. La zone centrale est réservée aux traitants en tenue étanche. Autour des cases, un couloir permet aux familles de voir les leurs. J’adhère d’autant plus à cette idée que c’est exactement le schéma du service de soins intensifs de l’Institut de cardiologie d’Abidjan, dont j’ai dirigé la construction : les familles voient les malades et, mieux, peuvent leur parler par téléphone.
– Un point capital : on peut confirmer le diagnostic par un test rapide et fiable.
– Les malades décédés ne doivent pas être « volés » à leurs familles. Ils doivent avoir des rites funéraires dignes et sécurisés pour respecter la tradition et éviter la contagion.
– Il faut appliquer rigoureusement les mesures réellement utiles pour empêcher la contagion : éviter tout contact avec la salive, les vomissures, les selles, les urines, le sang, et mettre une tenue étanche pour approcher les malades. En revanche, il faut s’abstenir de prendre des mesures néfastes et probablement inefficaces, comme la destruction de cases ou l’interdiction de la « viande de brousse » (très utile et appréciée dans l’alimentation).
– Faire connaître les moyens disponibles pour lutter contre l’épidémie : un vaccin, protecteur pendant deux mois, nécessitant une seule injection et qui a démontré son efficacité dans les épidémies ouest-africaines antérieures, a permis de protéger 240 000 personnes étant au contact des malades ou au contact de personnes en contact (« ring vaccination »). Deux autres vaccins de plus longue durée d’action sont en cours d’évaluation, mais ils nécessitent deux injections.
– Nous n’avons pas de médicament détruisant le virus lui-même. Après l’échec des antibiotiques, on utilise maintenant des anticorps monoclonaux qui font l’objet d’études randomisées. C’est dire l’importance des traitements classiques du choc infectieux, de la diarrhée profuse, des hémorragies et des insuffisances viscérales.
Aux fantasmes de déni et de peur, il faut opposer la vérité et la clarté : oui, la maladie d’Ebola existe, oui, elle est gravissime. Mais on peut la guérir d’autant plus facilement qu’on obtiendra la coopération de la population. Qui est indispensable.
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