Sur les traces des tueurs d’Al-Qaïda
Exclusif. Arrêtés le 11 janvier à Bissau, Mohamed Ould Chabarnou et Sidi Ould Sidina ont avoué être les auteurs du meurtre de quatre touristes français à Aleg, le 24 décembre dernier. Qui sont-ils vraiment ? De quel milieu sont-ils issus ? Notre collabora
Inconcevable. Pour sa mère, Mohamed Ould Chabarnou ne peut être celui que décrivent les journaux, ce terroriste islamiste qui aurait participé au meurtre de quatre touristes français à Aleg, le 24 décembre. « La veille, il jouait avec ses nièces, il leur faisait des câlins, ici ! » s’écrie Oumma Kone, la gorge sèche, en désignant le tapis du salon.
Dans sa maison de Toujounin, un quartier de la capitale mauritanienne où les chèvres errent entre les ordures, cette infirmière à l’hôpital de Nouakchott évoque le caractère « calme et posé » de son fils. Arrêté au petit matin du 11 janvier dans un grand hôtel de Bissau, après une cavale de dix-huit jours qui l’a successivement mené au Sénégal et en Gambie, ce dernier a avoué être l’un des trois auteurs de « l’attaque d’Aleg ». À l’instar de son compagnon de voyage et présumé complice Sidi Ould Sidina, interpellé au même moment, il a ajouté n’avoir « aucun remords » d’avoir tué « des infidèles et alliés des Américains ». Tandis que, au moment où nous mettions sous presse, le troisième acolyte courait toujours (voir encadré page 42), ces deux derniers étaient tenus au secret, interrogés par la Direction de la sûreté de l’État mauritanienne.
Terroriste, Mohamed Ould Chabarnou, ce gosse qui « saluait chaque jour » sa voisine ? Ce jeune qui « parlait peu », mais aimait passer du temps avec ses amis, chanter du rap en toucouleur et en wolof avec son groupe, les « Awlad le Bled » (« les fils du bled »), et se rendait à la mosquée pour les cinq prières quotidiennes, systématiquement coiffé d’un turban ?
Non, sa mère n’y croit pas, et c’est pour cela qu’elle n’est pas « gênée de parler ». « Il ne peut pas faire de mal à quelqu’un », martèle cette petite femme ronde au visage ceint d’un voile vert. Négro-Mauritanienne native de Boutilimit, la ville de Moktar Ould Daddah, premier président de la Mauritanie, elle n’a jamais vu le comparse de son fils, Sidi Ould Sidina.
Allongé comme tous les jours sur un tapis pelé dans la cour vide de sa maison, le père de ce dernier, commerçant à Dakar dans les années 1970, n’a jamais vu, lui, Mohamed Ould Chabarnou. À l’instar d’Oumma Kone, dont il est voisin de quelques kilomètres, ce septuagénaire à la bouche édentée relate, chapelet à la main, l’enfance d’un fils « sans problème ». Et précise, tandis qu’une mouche se pose sur son crâne chauve, que « Sidi » ne portait qu’« occasionnellement » le turban. Au même moment, sur le pas de la porte en tôle rouge, sa fille cache ses larmes et sa hargne derrière un voile fleuri, hurlant que son frère « ne peut avoir tué ».
Dans l’entourage de Mohamed Ould Chabarnou et de Sidi Ould Sidina, l’incrédulité est totale. Leurs familles, modestes, sont tout ce qu’il y a de plus respectable. L’arrière-grand-père paternel du premier était un Français établi en Mauritanie durant l’époque coloniale. De lui, la mémoire familiale ne sait rien, sinon qu’il a épousé une « autochtone ». Son grand-père maternel, Souleymane Kone, fut pendant plus de trente ans président de l’Office des anciens combattants. À l’hôpital de Nouakchott, le dévouement de sa mère pour les patients fait l’unanimité. Son oncle paternel, El Haj Ould Chabarnou, dirige les écoles privées « Dar el-Ouloum » (« la maison des sciences »), reconnues dans la capitale pour leur sérieux. L’une de ses surs, Aïchatou, est employée par Mauritel, société de téléphonie.
Par son paternel, Sidi Ould Sidina appartient à une tribu maraboutique très respectée, les Ide Warri. Son oncle est un homme d’affaires connu dans les milieux professionnels nouakchottois. Alitée en raison d’une maladie des reins, sa mère, âgée d’une quarantaine d’années, est connue dans le voisinage pour sa gentillesse.
Pourtant, ces deux gamins – Ould Sidina et Ould Chabarnou ont respectivement 20 et 26 ans – ne sont pas les enfants de chur que décrivent leurs proches. Parce que tous deux sont dits peu bavards, leurs parents, qui les ont encore vus lors de la fête de la Tabaski, le 20 décembre, les connaissaient-ils mal ? De source policière, Ould Sidina aurait été incarcéré à deux reprises pour viol. Ould Chabarnou, lui, aurait commis plusieurs vols, de voiture notamment, et se serait livré à du trafic de haschich. Les deux compères ont avoué avoir dérobé la recette douanière du port de Nouakchott, l’équivalent de 4 millions d’euros, qui avait mystérieusement disparu en octobre dernier. Lors de leur arrestation, ils se faisaient passer pour des hommes d’affaires et disposaient d’une importante somme d’argent. D’après toutes les personnes interrogées, ni l’un ni l’autre n’exerçaient une profession. La mère de Mohamed Ould Chabarnou se souvient toutefois que son fils a travaillé dans la « petite boucherie » et fait un peu de commerce à Nouadhibou.
De la petite frappe au terroriste islamiste, il y a un grand saut, que seules quelques hypothèses parviennent à expliquer. S’ils ne doutent pas de l’innocence de leur progéniture, les parents peinent à reconstituer le puzzle de leur existence. Assis à même le sol dans le salon de sa maison quasiment vide de Darnaïm, un quartier de Nouakchott, le père de Mohamed Ould Chabarnou, petit homme sec au visage parcouru de rides verticales, reconnaît, l’angoisse dans la voix, qu’il « ne sait pas grand-chose » de ce fils qui, aujourd’hui, déshonore le nom de Chabarnou, « unique en Mauritanie ». En 1982, il s’est séparé de sa première épouse, la mère de Mohamed, qui a élevé l’enfant avec un frère et une sur issus du même mariage.
De madrasa en madrasa
« Je pensais qu’il était entre de bonnes mains », se défend cet ancien employé de l’Office mauritanien de recherches géologiques, aujourd’hui sans emploi, qui assure « respecter les cinq piliers de l’islam, c’est tout ». Quant à son ex-épouse, elle ne sait pas au juste ce qu’a fait son fils Mohamed entre juin 2006 et octobre 2007. Auparavant, il a suivi une scolarité normale, en arabe, qu’il a interrompue au terme du collège comme nombre de ses compatriotes. Il est ensuite allé de madrasa (école coranique) en madrasa dans l’est du pays et à Nouakchott, parcours ponctué de quelques visites dans la maison maternelle. « Il venait parfois avec ses amis islamistes, se souvient sa mère après un silence. Mais quand ils se présentaient à la porte, j’enlevais mon voile et alors là, ils partaient ! »
Certains de ses proches se rappellent qu’à cette époque Mohamed est tombé sous l’influence d’un islamiste algérien avec lequel il passait la majeure partie de son temps. Au début de l’année 2006, il s’est marié à une jeune femme originaire de Boutilimit, qui lui a donné un fils, aujourd’hui âgé d’une dizaine de mois, hospitalisé pour une malformation cardiaque. Son grand-père paternel n’a appris l’existence du bébé qu’en octobre dernier. Et puis, « en juin 2006, il nous a quittés et on ne l’a plus revu pendant un an et demi », raconte sa mère. Au cours de cette absence, il serait allé au Mali puis au Sénégal, selon cette dernière. En Algérie, dans un camp d’entraînement du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), ont de leur côté supposé les policiers mauritaniens, qui, sur ce soupçon, l’ont arrêté en octobre 2006, dans le sud du pays, pour le relâcher un mois et demi plus tard. Selon certaines sources, il n’a pas été poursuivi pour avoir accepté d’infiltrer le GSPC et de transmettre des informations à la police.
L’itinéraire de Sidi Ould Sidina comporte aussi ses zones d’ombre. L’état civil le fait naître en 1987, mais d’aucuns le jugent plus âgé au regard de son parcours : scolarité en arabe interrompue à la fin du collège, madrasa, puis dix-huit mois dans l’armée mauritanienne – où l’âge minimal est 16 ans -, comme homme de troupe. Ensuite, le jeune homme a déserté et s’est rendu, pour rejoindre un oncle selon certaines sources, en Guinée-Bissau. Dans la capitale, il a tenu une boutique, dont il n’était pas propriétaire, pendant près d’une année.
C’est en 2005 que Sidi Ould Sidina aurait regagné son pays avec, comme souvenir de Bissau, la bonne maîtrise de l’une des langues nationales, le créole. Et, selon certains témoignages, « ce nouvel esprit d’islamiste ». « Il est revenu déséquilibré », assure son père. À son retour, il est arrêté par la police mauritanienne qui le suspecte d’appartenir au GSPC. Il sera relâché en juillet 2007 après « le procès des islamistes », marqué par un esprit de clémence que d’aucuns reprochent aujourd’hui à l’actuel chef de l’État, Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Lavage de cerveau
Comment les deux jeunes hommes se sont-ils rencontrés ? Lorsqu’elle a vu à la télévision, sur France 24, les moments qui ont suivi l’arrestation de Mohamed Ould Chabarnou à Bissau, une voisine de la mère de ce dernier a reconnu, à ses côtés, ce Sidi Ould Sidina dont parlait le commentateur. « Je l’avais déjà vu avec Mohamed, assure-t-elle, ajoutant : c’est la première fois que je voyais Mohamed habillé en pantalon et en chemise. »
Mais cette femme robuste à la voix criarde est bien la seule personne à avoir aperçu les deux suspects ensemble. De l’avis commun, ils se sont rencontrés « dans la mouvance islamique », à Nouakchott. L’explication de leur engagement pour la cause du djihad est tout aussi simpliste. « C’est cet érudit de la madrasa qui lui a lavé le cerveau ! » s’insurge le père de Sidi Ould Sidina. « Si je trouvais celui qui lui a mis ces idées dans le crâne, je lui mordrais le foie ! » promet de son côté celui de Mohamed Ould Chabarnou.
Selon certaines sources, les deux jeunes gens étaient sous l’influence de Moustapha Abdel Khader, alias Abou Saïd, un extrémiste lié aux réseaux salafistes qui leur a prêté main forte à Aleg, après l’attaque du 24 décembre, pour fuir vers le Sénégal. Ce dernier a été interpellé le jour même. Pour d’autres, la tuerie est le résultat d’une tentative d’enlèvement qui a mal tourné. Mais les anathèmes lancés par Sidi Ould Sidina sont explicites : « La Guinée-Bissau va payer très cher le fait d’avoir maltraité les combattants de Dieu », a-t-il prévenu en montant dans l’avion qui le ramenait de Bissau à Nouakchott.
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