[Tribune] Cher Africain de demain

L’Africain de demain n’a pas vocation à occuper la périphérie d’un monde qui le nie en même temps qu’il le charme, qui lui construit des lendemains l’excluant au présent. Il lui faut alors sauver en lui l’audace de rêver.

 © Adria Fruitos pour JA

© Adria Fruitos pour JA

Hemley Boum
  • Hemley Boum

    Romancière camerounaise, Grand prix littéraire d’Afrique noire

Publié le 6 janvier 2020 Lecture : 4 minutes.

J’ai voulu t’écrire pour te dire toute l’espérance que tu symbolises, mais l’actualité déverse la pestilence de ses nouvelles dans notre monde déjà fort pollué. L’application que nous mettons à détruire ce qui est déjà si fragile ne cesse de me surprendre. Chaque nouveau jour nous impose son lot de violence et d’injustice crasse. Alors ma missive sera moins optimiste que prévu, veux-tu m’en excuser ?

Pourtant ce siècle était prometteur, si tu savais… Ton siècle, ton millénaire, ton héritage ! Nous l’espérions neuf, débarrassé des scories du passé, libre des anciennes détestations, ouvert aux nouvelles légitimités, plus respectueux du vivant, mais non. Les canaux de la transmission sont depuis longtemps obstrués, ne reste que le cycle sans fin de nos névroses, épaissi de notre avidité, du cynisme et de l’arrogance qui en sont les corollaires.

Quand nous commençons timidement à espérer en un ­en-commun qui ne soit pas que slogan, la violence quotidienne nous ramène à la réalité

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Il se répète, toujours plus puissant, bouffi d’orgueil et de malveillance. Quand nous croyons avoir tiré leçon du passé, quand nous commençons timidement à espérer en un ­en-commun qui ne soit pas que slogan, la violence quotidienne nous ramène à la réalité. Il existe bien une conjuration de personnes de bonne volonté, mais elles ne sont ni assez nombreuses ni assez puissantes pour constituer un réel contre-pouvoir à l’effroyable mouvement de balancier qui, passant d’un extrême à l’autre, nous enserre dans nos solitudes hargneuses et désespérées. Il semblerait que nous ne puissions plus arrêter le monstre que nous avons conçu.

À quoi rêves-tu, enfant d’Afrique ?

Alors, à quoi rêves-tu, enfant d’Afrique ? Parce que nous parlons de futur, je t’ai voulu enfant, je t’ai de suite tutoyé. Je te prie de ne voir là ni manque de respect ni condescendance, il s’agirait plutôt d’une connivence par-delà les âges. Car, moi aussi, j’ai représenté un jour l’Afrique de demain, et cela me chagrine de te savoir chargé d’un tel fardeau. Pour moi, il est déjà demain, et La Promesse de l’aube n’a pas eu lieu. Pas cette promesse-là, pas celle de plus de dignité pour les nôtres. Mais pourquoi en appeler à la dignité quand même l’attente élémentaire d’eau et de nourriture en quantité suffisante pour tous n’aura pas été comblée ?

Si tu veux bien, revenons à toi. Oui, à quoi rêves-tu, Africain de demain ? Si un ancêtre fabuleux, issue de notre panthéon immémorial, revenait t’annoncer que tu es la personne la plus importante au monde et que tu n’as qu’à énoncer ton désir pour le voir exaucé, quels seraient tes premiers mots ? Si tu prenais conscience que ton extrême vulnérabilité, ton interminable attente, ton refus de renoncer, sont la trame même de la vie, que ferais-tu de l’idée toute neuve de ta puissance ?

Désires-tu une place dans le grand banquet à ciel ouvert où se gavent tous ces gens qui ne sont pas toi ? Réclames-tu ta part du confort dont leur naissance a largement pourvu les plus chanceux d’entre nous ? Qui pourrait t’en vouloir ? Le contraire de l’opulence est la misère, pas la sobriété choisie, tu es bien placé pour le savoir.

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L’Afrique pour demain

Mais peut-être ne rêves-tu pas, ou plus ; las de tous les lendemains où l’on te projette parce que c’est demain précisément, et que demain ne mange pas de pain. Tu remarqueras que c’est toujours l’Afrique qui est pour demain. Ceux qui s’arrogent le passé, le présent, et te relèguent à un avenir hypothétique se soucient bien peu du futur. Si tu en doutes, regarde donc comme ils traitent leurs enfants inquiets pour l’avenir de notre espèce.

Peut-être as-tu déjà compris que l’Africain de demain est un leurre conçu pour te détourner de toi-même

Peut-être l’as-tu déjà compris, enfant du siècle, riche que tu es de l’histoire glorieuse de ta survie inattendue, dans l’opiniâtreté admirable qui est la tienne pour faire entendre ta musique originale, dans les batailles inlassablement recommencées. Peut-être as-tu déjà compris que l’Africain de demain est un leurre conçu pour te détourner de toi-même. Que tu n’es pas condamné à patienter dans l’angle mort des étoiles avec l’attente de lendemains qui chantent pour seule perspective. Car malgré les promesses, aucun matin glorieux n’est venu depuis lors magnifier ta présence sur Terre.

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Tu sais à présent la vacuité des serments. Tu n’as pas vocation à occuper la périphérie d’un monde qui te nie en même temps qu’il te charme, qui te construit des lendemains t’excluant au présent. Et, bien sûr, lutter pour sa dignité est digne en soi.

Peut-être as-tu déjà compris que c’est maintenant, aujourd’hui, toutes affaires cessantes, qu’il te faut être Africain. Peut-être, mais je n’en sais rien, alors j’insiste, cher, infiniment cher : dis-moi, as-tu sauvé en toi l’audace de rêver ?

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