[Tribune] Banjul au secours des Rohingyas
Grâce à la Gambie, et après plusieurs années à minimiser puis à nier le génocide en cours contre la minorité musulmane des Rohingyas au Myanmar (anciennement Birmanie), Aung San Suu Kyi, ancienne icône mondiale de la défense des Droits humains, s’est enfin trouvée forcée de s’expliquer devant la Cour internationale de Justice de La Haye, le 10 décembre.
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Samia Maktouf
Samia Maktouf est avocate, inscrite aux barreaux de Paris et de Tunis, et conseil près la Cour pénale internationale.
Publié le 22 décembre 2019 Lecture : 1 minute.
La Dame de Rangoon a défendu les militaires, ses anciens geôliers impitoyables, responsable des pires tyrannies, brandissant l’argument usé jusqu’à la corde d’opérations « antiterroristes », comme celle que mèneraient les autorités chinoises quand elles enferment dans des camps la minorité ouïghoure.
Dès 2017, Amnesty International parlait pourtant d’une politique « systématique et planifiée » au Myanmar, majoritairement bouddhiste, avec des villages entiers brûlés et des troupes tirant sur les populations qui tentaient de fuir.
Mais alors que l’ONU déclarait les Rohingyas « minorité la plus persécutée au monde », Aung San Suu Kyi persistait à qualifier ces accusations de fake news et refusait même de se rendre à l’Assemblée générale de l’organisation, à New York.
Jusqu’ici, jamais un dirigeant birman ne s’était retrouvé à la barre dans ce dossier. Et la justice internationale doit cette première victoire contre l’oppression à l’Afrique : c’est en effet la Gambie qui est à l’origine de cette comparution. Non État partie au Statut de Rome, le Myanmar ne pouvait être attaqué de front devant la Cour pénale internationale.
Débarrassée de sa dictature seulement depuis 2017, la Gambie, majoritairement musulmane, a donc porté plainte, par la voix de son ministre de la Justice, Abubacarr Tambadou, auprès de la Cour internationale de justice. Un véritable coup de maître devant une juridiction prévue par la Charte des Nations unies, chargée des litiges entre États membres de l’ONU, comme celui opposant, dans les années 1990, la Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie.
Ancien procureur adjoint du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Abubacarr Tambadou sait les limites qui, une fois franchies, mènent à l’inhumanité. Et aujourd’hui, Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix en 1991, qui incarnait alors l’espoir d’un monde plus libre et plus juste, est devenue l’image et la parole de la barbarie. Tout à la fois blessée et forte de la mémoire du génocide, l’Afrique reprend le flambeau d’une lutte autrefois portée par une icône mondiale déchue, qui s’est elle-même fait chuter de son piédestal.
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