Out of Nigeria

Les écrivains nigérians connaissent un succès grandissant à l’étranger. Alors que chez eux leur diffusion est confidentielle.

Publié le 21 janvier 2008 Lecture : 3 minutes.

En 2007, deux des plus prestigieuses distinctions littéraires britanniques sont revenues à des Nigérians : le Man Booker Prize International à Chinua Achebe (né en 1930), l’Orange Broadband Prize (réservé aux auteurs de sexe féminin) à Chimamanda Ngozi Adichie (née en 1977). Cette dernière, déjà sélectionnée pour le Booker Prize 2004, figure par ailleurs (avec le Kényan Ngugi wa Thiong’o) sur la première liste des écrivains retenus pour le prochain prix Impac, l’une des récompenses littéraires les plus richement dotées du monde (100 000 euros). Le nom du lauréat sera dévoilé en juin 2008 à Dublin.
S’ils brillent au Royaume-Uni, les écrivains d’origine nigériane connaissent également le succès aux États-Unis. Au début de 2007, l’un d’entre eux, Uzodinma Iweala, 36 ans, auteur d’un premier roman encensé par la critique, Beasts of No Nation, a été classé par la revue Granta parmi les vingt jeunes espoirs de la littérature américaine.
Autre auteur en vedette, Chris Abani. Graceland, le troisième roman de cet universitaire de 42 ans établi en Californie, vient de paraître en France chez Albin Michel. Sur son (excellent) blog www.lecreditavoyage.com, le romancier congolais Alain Mabanckou parle du « grand événement des lettres du monde noir ». Le livre, qui a reçu un accueil enthousiaste aux États-Unis, met en scène un ado de 16 ans qui vivote dans un bidonville de Lagos à la fin des années 1970.
Ces écrivains, chacun à sa façon, marchent sur les pas de leur glorieux aîné Wole Soyinka (74 ans). Le premier lauréat africain du Nobel de littérature (en 1986) a fait la une de tous les suppléments littéraires français à la fin de 2007 à l’occasion de la sortie d’un nouveau volume de ses mémoires, Il te faut partir à l’aube (Actes Sud).

Quantité d’auteurs talentueux
Et le Nigeria peut s’enorgueillir de quantité d’autres auteurs talentueux tels que Elechi Amada, Flora Nwapa, Buchi Emecheta, Cyprian Ekwensi (décédé en novembre 2007) ou encore Ken Saro-Wiwa, exécuté en novembre 1975 sur ordre de la junte dirigée par le sinistre Sani Abacha. Sans oublier le précurseur Amos Tutuloa (1920-1997), qui avait fait une entrée spectaculaire dans le paysage littéraire en 1952 avec un conte initiatique époustouflant, The Palm-Wine Drinkard, dont Gallimard publiera en 1983 la traduction française (L’Ivrogne dans la brousse) signée par Raymond Queneau.
Un autre de leurs compatriotes, Ben Okri (né en 1959), s’est distingué au début des années 1990 en obtenant le Booker Prize pour The Famished Road (La Route de la faim, Julliard, 1994), un roman-fleuve associant le réalisme à l’européenne et des éléments fantastiques propres à la tradition africaine.
Soyinka, Achebe, Ben Okri et la plupart de leurs jeunes collègues ont en commun de vivre en dehors de leur pays. Chez eux, la diffusion de leur uvre reste confidentielle. Half of a Yellow Sun, le roman qui a valu à Adichie le prix Orange, s’est vendu à plus de 240 000 exemplaires au Royaume-Uni. Au Nigeria, selon l’hebdomadaire britannique The Economist, les ventes atteignaient péniblement 5 000 exemplaires à la fin de 2007. Le prix, il est vrai, est dissuasif : 1 500 nairas (une dizaine d’euros) au catalogue de Kachifo, un éditeur de Lagos, soit 20 % du revenu mensuel moyen d’un Nigérian. Ce livre, pourtant, qui évoque la guerre qui a ensanglanté le Biafra entre 1967 et 1970, devrait intéresser un large public.
Les problèmes d’édition et de diffusion du livre se posent certes de la même façon dans tous les pays de la région. Mais le Nigeria disposait, naguère, d’une industrie prospère. Elle a permis l’éclosion de littératures en langues nationales (notamment en yorouba, langue qui compte plus de 30 millions de locuteurs), beaucoup plus florissantes dans les anciens territoires britanniques que dans les pays colonisés par la France. Avec les dictatures militaires et les crises économiques qui ont dévasté le pays dans les années 1980, le secteur de l’édition s’est effondré – tandis que les écrivains étaient condamnés au silence ou à l’exil. Les maisons qui ont survécu ont abandonné la fiction pour le scolaire, bien plus facile à rentabiliser. C’est comme cela qu’Adichie, Soyinka et toutes les grandes voix de la littérature nationale restent pour une grande part inaccessibles à leurs compatriotes.

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