Mahmoud Keldi

Le jeune architecte bâtit des collèges en banlieue parisienne et des palais en Afrique. Ou comment mettre de l’or dans la grisaille et des panneaux solaires sous les Tropiques.

Publié le 21 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

C’est une de ces aberrations dont la bureaucratie française est coutumière. Au Journal officiel du 8 février 2003, on trouve cette mention : « Décision du 3 février 2003 portant autorisation d’exercer la profession d’architecte en France à M. Keldi Mahmoud. » En termes clairs, bien qu’architecte « diplômé par le gouvernement » (DPLG), Mahmoud Keldi n’avait pas le droit d’exercer sa profession dans le pays qui l’a formé. L’explication ? Elle est simple : né à Moroni (Comores) en 1971, Keldi est arrivé en France en 1981 et, à l’époque, il n’avait pas encore acquis la nationalité française.
C’est chose faite aujourd’hui et, dans son agence parisienne, le jeune architecte peut désormais rire de cette mésaventure. Très chic dans un costume sombre, sourire aux lèvres, Keldi n’est pas avare de ses mots. On pourrait le croire loquace, il est surtout passionné. On pourrait l’imaginer fier de sa réussite, il est surtout porté par des projets tournés vers les autres. « Mahmoud est très sensible aux contextes politiques et humains de ses opérations, explique Philippe Médioni, un de ses amis et collègues. Je suppose qu’il garde en mémoire tout le chemin qu’il a parcouru avant d’être reconnu par ses pairs, tant aux Comores qu’en France. »

S’intégrer, c’est oublier
Raconter son histoire ? À quoi bon. Il a tellement de choses à dire sur ses projets en cours À force d’insister, on apprend tout de même que, des dix années qu’il a passées aux Comores, il garde le souvenir de la mer offerte à 50 mètres de l’école, des balades au clair de lune quand l’électricité faisait défaut et, bien sûr, des parfums de l’archipel. « Les Comores, ce sont les Îles aux parfums, le premier pays producteur d’ylang-ylang, dont les fleurs sont très utilisées en parfumerie », rappelle-t-il. Là-bas, la vie était plutôt tranquille pour ce fils de notable entouré de neuf frères et surs.
Jusqu’en 1981, année de son arrivée en France. « Mes parents ont fait le choix de m’y envoyer, c’était un investissement. Je ne leur en veux pas, mais c’était beaucoup trop tôt », estime-t-il. À Corbeil-Essonnes (au sud de Paris), il lui a fallu s’intégrer. Un enfant n’a pas envie d’être différent. Les premiers mois, Keldi a pleuré, puis s’est fondu dans la masse. Au point d’en oublier sa langue maternelle. Un dommage collatéral de l’intégration « à la française », sans doute. « S’intégrer, c’est tout simplement vivre dans le pays où l’on habite, y vivre complètement, être là, participer. Penser systématiquement au départ, c’est s’empêcher de vivre ensemble, de communiquer, de mener des projets. Pour moi, les communautés sont des gens sur le départ. »
La chance de Keldi, c’est d’avoir découvert très tôt sa vocation. Dès la sixième, il sait qu’il veut être architecte. Peut-être parce qu’aux Comores « on construit des palaces qu’on n’a pas les moyens de terminer et qui tombent en ruines avant d’être finis ». Après un bac génie civil, le jeune Keldi entre à l’école d’architecture de Charenton. « Je n’étais pas un gars très rigolo, se souvient-il. Je voulais être un bon architecte et la vie d’étudiant n’était pas simple, j’achetais plutôt des feutres que de la nourriture. »
Avant même d’être diplômé, il travaille déjà sur des chantiers pour l’agence Jean-Baptiste Lacoudre. Il s’accorde aussi une année de réflexion afin d’étudier « les villes côtières africaines colonisées par les Français ». Il rédige alors quelque cinq cents pages sur la question. Où il reparle des Comores, toujours présentes dans un coin de sa tête. « Si j’y retourne, confie-t-il, ce ne sera jamais pour dire j’ai réussi mais pour apporter quelque chose. » Son diplôme, il l’a d’ailleurs obtenu en 1998 avec un projet de réhabilitation de la Médina de Moroni, qui, s’il n’a pour l’instant pas vu le jour, n’en est pas pour autant abandonné.
Une fois « architecte DPLG », Keldi se rend à Londres pour y travailler. C’est là qu’il découvre que son diplôme n’est pas valable. Certes, il peut être embauché, mais avec un salaire moindre et des conditions peu intéressantes. Et il lui est interdit de signer le moindre permis de construire ! Du coup, il rentre en France et présente une demande de dérogation auprès du ministère de la Culture, qui lui est accordée. Enfin installé dans sa petite agence parisienne, Keldi se lance à corps perdu dans l’aventure. « J’ai essayé d’obtenir toutes les aides administratives possibles et imaginables, j’ai postulé à des tonnes d’appels d’offres, j’ai participé à des concours internationaux, j’ai amélioré mon book », dit-il. La ténacité finit par payer. Parmi les projets en cours ou déjà livrés par son agence, un collège à Corbeil-Essonnes, la réhabilitation d’un autre établissement à Marcoussis, un centre socioculturel à Gif-sur-Yvette, des locaux pour Sanofi-Aventis, à Vitry-sur-Seine
Représentatif de son travail, le collège de La Nacelle, à Corbeil, arbore une façade aux reflets d’or. « Dans une cité, les habitants sont habitués aux matériaux pauvres. J’avais envie de leur donner plus. Une manière de dire que la banlieue a le droit de briller ! » Une démarche ouvertement politique : « J’aime travailler dans des quartiers difficiles et pouvoir en sortir des projets où il y a de la générosité. »

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L’architecture du développement
Cette générosité, il entend bien l’exporter. Si possible, en Afrique. « Ce continent a besoin d’architectes, s’exclame-t-il, on ne compte plus le nombre de pathologies dues à une mauvaise urbanisation ! » Selon lui, l’architecture, pour peu qu’elle soit bien pensée, permet d’agir, entre autres, sur le problème de l’eau et de faire des économies en matière de santé. Quand il évoque l’utilisation du verre, Keldi monte sur ses grands chevaux : « On crée des serres impossibles à ventiler. Alors qu’aujourd’hui il est possible de ne pas reproduire les erreurs commises en Occident sur le plan énergétique. »
Keldi sait de quoi il parle : il vient de travailler plusieurs mois sur un projet de centre socioculturel au Congo-Brazzaville. Sur le toit, il ne mettra pas de verre, mais 1,20 m de terre végétale plantée d’arbres et de pelouse. Sur la façade, il utilisera sans doute une pierre locale qu’il est en train de tester en laboratoire afin d’évaluer ses propriétés et sa résistance. Pour la climatisation, il créera des brise-soleil en bois – de ce bois que le pays exporte mais qu’il utilise si peu. Si le centre se construit, ce sont des entreprises locales qui en bénéficieront surtout. Et tous les Congolais. Mahmoud Keldi aura alors remporté son pari : revenir en Afrique pour y apporter un peu de son savoir.

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