La botte secrète de Gbagbo

Le poste de gouverneur de la Banque centrale paraissait promis à l’Ivoirien Paul-Antoine Bohoun Bouabré. Surprise : c’est son compatriote Philippe-Henry Dacoury-Tabley qui l’a emporté.

Publié le 21 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

« Je ne sais pas ce qu’on me reproche, il y a des choses qui m’échappent. » Le dépit de Paul-Antoine Bohoun Bouabré, le ministre ivoirien au Plan, est compréhensible. Jusqu’à la veille du sommet de l’UEMOA, il était le seul candidat officiellement déclaré pour le poste de gouverneur de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui a été attribué lors de la 12e conférence des chefs d’État de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le 17 janvier à Ouagadougou. À l’issue du sommet, il a pourtant été battu par son compatriote et ami Philippe-Henry Dacoury-Tabley. Le président Laurent Gbagbo a sans doute été bien avisé de mettre deux fers au feu. Son poulain a été recalé, mais la Côte d’Ivoire est quelque peu revigorée par ce « retour en grâce institutionnel ».
Administrateur de la Côte d’Ivoire à la Banque africaine de développement (BAD) depuis 2002, après près de vingt-cinq ans passés à la BCEAO, Dacoury-Tabley a été nommé pour six ans. Au Centre de conférences du comp-?lexe Ouaga 2000, l’affrontement redouté n’a pas eu lieu. Rien, pas le moindre couac au cours de ce huis clos de cinq heures auquel Abdoulaye Wade a finalement pris part. Victime d’une « légère fatigue », selon son entourage, le président sénégalais n’avait participé, dans la matinée, ni à la cérémonie d’ouverture ni à la traditionnelle photo de famille et s’était fait représenter par Aziz Sow, son ministre délégué pour le Nepad. Le Bissau-Guinéen João Bernardo Vieira et le Nigérien Mamadou Tandja s’étaient pour leur part décommandés à la dernière minute en raison de problèmes de politique intérieure. Leurs Premiers ministres étaient, en revanche, présents.

Sortir du statu quo
Bref, la volonté de sortir du statu quo et le besoin de solidarité affiché dans son discours inaugural par Blaise Compaoré, président en exercice de l’Union, ont prévalu. Ce n’était pas évident tant les objectifs des uns et des autres étaient différents. Pour la Côte d’Ivoire, il s’agissait de se réinstaller dans la « forteresse » BCEAO. Les autres pays, notamment le Niger, le Mali et le Sénégal, souhaitaient avant tout faire respecter les statuts de la banque en rendant pleinement applicable l’article 41 sur la rotation des gouvernorats.
Les arguments avancés par Gbagbo pour justifier sa requête ont fait mouche : « C’est celui qui apporte le plus de capitaux dans une entreprise privée ou une institution financière qui doit en assurer la direction », a-t-il rappelé, faisant référence au poids économique de son pays. « La Côte d’Ivoire a traversé une grave crise. Il était normal de se solidariser avec elle », a répondu le Malien Soumaïla Cissé, président de la Commission de l’UEMOA.
En fait, il était d’autant plus difficile aux chefs d’État de refuser le poste de gouverneur à la Côte d’Ivoire que le Béninois Yayi Boni n’avait nulle intention de céder la présidence de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), traditionnellement dévolue à son pays. Sa neutralité bienveillante sur la question de la BCEAO lui a valu le soutien de son alter ego ivoirien, puis de tous les autres, de sorte que son candidat, Abdoulaye Bio Tchané, actuel directeur Afrique au Fonds monétaire international, a été élu sans coup férir.
Solidarité donc, mais pas à n’importe quel prix. D’accord pour un nouveau mandat ivoirien, mais à la condition qu’il inaugure un système de rotation. La page semble bel et bien tournée : la règle non écrite en vigueur depuis le temps d’Houphouët selon laquelle le poste de gouverneur de la BCEAO revient à un Ivoirien est désormais caduque. « C’est un vrai succès, il fallait une normalisation », a commenté Soumaïla Cissé, comme pour exorciser l’échec cuisant des deux précédents sommets (Niamey 2006 et Ouaga 2007). « Les textes fondateurs de l’Union stipulent que ce principe de rotation doit être appliqué et il le sera », a confirmé le président burkinabè.
Le Sénégal, le Mali et le Niger (qui avait proposé la candidature d’Ali Gamatié) en sont bien d’accord, mais cela ne signifie par forcément que le principe de rotation sera à l’avenir respecté. « Cette banque nous revient naturellement. Nous reparlerons de la rotation dans six ans, mais si d’aventure le prochain gouvernorat est attribué au Sénégal, nous demanderons que le siège de la BCEAO revienne à Abidjan. Un même pays ne peut pas assurer la présidence de la banque et en accueillir le siège », nous a indiqué un porte-parole de Gbagbo.
De la cohésion, il en a également fallu sur tous les dossiers de l’ordre du jour : la situation économique et financière, le renchérissement des matières premières et l’envolée des cours du pétrole, la crise énergétique qui affecte la sous-région, mais aussi, bien sûr, les Accords de partenariat économique (APE) qui, depuis le 31 décembre, sont censés se substituer au régime commercial préférentiel accordé par l’Union européenne aux pays ACP. S’il n’a toujours pas digéré l’accord intérimaire conclu entre la Côte d’Ivoire et l’UE, Wade s’est cependant associé au communiqué final de la conférence, qui charge la Commission de l’Union de renforcer sa coopération avec la CEDEAO, laquelle est opposée à ces accords, « en vue d’accompagner la Côte d’Ivoire dans sa démarche en signant un texte intermédiaire harmonisé, avant d’aboutir, dans un délai raisonnable, à un accord global avantageux ».

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Stratégie commune
Outre le bilan jugé positif de la zone quant à ses performances économiques, la nécessité d’une stratégie communautaire dans le secteur énergétique a fait figure de priorité. La mise en place prochaine d’une commission présidée par Yayi Boni comprenant les ministres des Finances et de l’Énergie des États membres doit proposer d’ici à trois mois « des solutions définitives » à la crise de ce secteur. De son côté, l’UEMOA va débloquer une enveloppe d’urgence de 100 milliards de F CFA afin d’accompagner certains projets. De la cohésion, il en a enfin fallu après l’irruption aussi intempestive qu’imprévue du « Guide » libyen Mouammar Kadhafi en vue d’assister comme observateur au 33e sommet de la Cedeao, qui s’est tenu le lendemain, 18 janvier. Arrivé dans la matinée du 16 à la tête d’une imposante délégation, il a posé de sérieux problèmes logistiques émaillés d’incidents, en particulier lorsqu’il a exigé du directeur du Libya Hotel Sofitel Ouaga 2000 – construit par son pays mais sous contrat de gestion avec le français Accor – de disposer d’une cinquantaine de chambres, au besoin en délogeant les délégations de pays « mineurs ». Face au refus de ce dernier, le ton est rapidement monté et seulement une dizaine d’entre elles ont été libérées sur réquisition. Kadhafi a quant à lui été logé dans une villa présidentielle du complexe Ouaga 2000. Autre demande expresse : que 200 000 femmes soient réunies dans et autour d’un stade afin que le « Guide » leur rende un vibrant hommage
Mais plus que ces foucades, avec lesquelles le protocole burkinabè a depuis longtemps appris à composer, la décision des autorités de Tripoli d’expulser l’ensemble des ressortissants étrangers installés clandestinement sur le territoire de la Jamahiriya a fait l’objet de commentaires plus ou moins embarrassés. Cette décision devrait être évoquée lors du prochain sommet de l’Union africaine, qui se tient du 31 janvier au 2 février à Addis-Abeba.

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