France-Afrique : il faut sauver le soldat Bockel !

Publié le 21 janvier 2008 Lecture : 6 minutes.

Colonel de réserve passé à l’ennemi après la bataille, Jean-Marie Bockel, le secrétaire d’État français à la Coopération, avait, en bon militaire, pris certaines précautions. Lundi 14 janvier, veille de ses vux à la presse au cours desquels, prévenait son service de communication, il avait la ferme intention de « dire ses quatre vérités », l’ancien ministre socialiste rallié au gouvernement d’ouverture faisait parvenir à l’Élysée et au Quai d’Orsay le texte de son discours. Une copie pour le secrétaire général Claude Guéant, une autre pour Catherine Pégard, conseillère politique, et une troisième pour Bernard Kouchner, son ministre de tutelle. Pour information et corrections éventuelles.
Jean-Marie Bockel s’attendait-il à ce qu’on le retienne, avant qu’il ne fasse un malheur ? Possible. Toujours est-il qu’aucune réaction ne s’étant manifestée, au « Château » comme au Quai, le soldat Bockel fut bien obligé de monter au front. Le 15 janvier, devant des journalistes un peu médusés, le secrétaire d’État a donc signé l’acte de décès de la « Françafrique », appelé Nicolas Sarkozy à tenir ses promesses de rupture en ce domaine, confié sa déception face à la persistance des pratiques d’autrefois – mauvaise gouvernance, opacité financière, réseaux parallèles – et même fixé un délai pour qu’enfin cela change : le prochain voyage présidentiel, fin février, en Angola et en Afrique du Sud. Bref, un vrai, un gros pavé dans la mare et une piqûre de rappel chargée pour ceux qui, comme lui, se disent nostalgiques du discours prononcé par le candidat Sarkozy à Cotonou, plutôt que fanatiques de celui déclamé par le président à Dakar.

Mais quelle mouche a donc piqué cet Alsacien, transfuge d’une gauche dont il se dit toujours proche, loyal et discipliné au point d’avoir, dans un moment d’égarement, été le seul membre d’ouverture du gouvernement Fillon à approuver les tests ADN pour les candidats au regroupement familial ? Personne, pas même lui, ne niera que le besoin impérieux d’exister politiquement a joué un rôle clé dans son coup de gueule. À l’ombre d’un Bernard Kouchner à la fois insaisissable et omniprésent, d’une Rama Yade très médiatique, d’un Brice Hortefeux envahissant, sous la tutelle aussi encombrante qu’imprévisible de l’Élysée, il est bien difficile d’être le locataire d’une Rue Monsieur en instance de déménagement. Guetté par le « syndrome Wiltzer » (du nom de l’un de ses prédécesseurs, Pierre-André Wiltzer, littéralement étouffé par Dominique de Villepin), le sénateur-maire de Mulhouse a voulu se signaler à l’intention des médias : qui pourrait le lui reprocher ? Mais réduire à cela la saillie du 15 janvier serait injuste. Bockel est un homme politique, certes, mais il a aussi des convictions, des sincérités et sa part de fierté.
Pour mieux comprendre ce qui précède, il convient de réunir les pièces d’un puzzle franco-congolais connu des seuls initiés. Flash-back. Le 5 juillet 2007, Sarkozy reçoit son homologue et ami (ils se tutoient et s’appellent par leurs prénoms), Denis Sassou Nguesso. On parle aide française et conventions de financement pour la réhabilitation du CHU et de l’université de Brazzaville, du chemin de fer et du port de Pointe-Noire. Un montant approximatif est arrêté entre les deux chefs d’État : la France déboursera 200 millions d’euros. Une somme qui, une fois passée à la moulinette de Bercy, puis sous les fourches Caudines du Document cadre de partenariat (DCP), dont les mots d’ordre sont transparence et, surtout, conditionnalité, est, au bout de quelques mois, réduite de moitié. Dire que le président congolais n’en est pas satisfait est un euphémisme.
Vendredi 7 décembre, en début de soirée, ce dernier fait part de sa déception à « Nicolas », lors d’un entretien à l’Élysée. Bockel est présent. Lui s’attend à ce que son président le soutienne, mais c’est l’inverse qui se produit. Sarkozy s’énerve, s’en prend au secrétaire d’État, lâche quelques mots qui blessent, part quérir Guéant, à qui il confie le dossier, et fixe arbitrairement un nouveau montant pour l’enveloppe : « ce sera 180 millions ». Puis, s’adressant à Sassou, il lance : « Viens avec moi Denis, Claude aussi, laissons les autres ici, on va conclure à trois. » Sous les yeux un peu gênés des membres de la délégation congolaise, Bockel et son staff sont plantés là, tétanisés et passablement humiliés.

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Cet incident va laisser des traces. Pour un proche du secrétaire d’État à la Coopération, « c’est ce jour-là que Jean-Marie Bockel a décidé de programmer sa sortie du bois ». D’autant que cette couleuvre n’est pas la première, même si elle est particulièrement dure à avaler. Avec Bruno Joubert, le conseiller Afrique de l’Élysée, et la secrétaire d’État Rama Yade, Bockel fait partie de ceux qui, sans jamais l’exprimer publiquement, ont eu des réserves quant au contenu du discours de Dakar ; des réserves quant au choix de l’étape de Libreville lors du premier voyage officiel de Sarkozy en Afrique ; des réserves, encore, quand le président français, passant outre aux recommandations du Trésor, a procédé à une annulation plus généreuse que prévu de la dette gabonaise ; des réserves, enfin, quand Sarkozy a lui-même remis les insignes de la Légion d’honneur à l’avocat Robert Bourgi, perçu par eux comme la queue de comète des réseaux foccartiens.
En se référant explicitement au très prometteur discours de Cotonou, prononcé en mai 2006 par celui qui était alors le candidat de la rupture, Bockel touche un point sensible. Mort de la Françafrique, de ses émissaires « autoproclamés » et de ses réseaux, stricte conditionnalité de l’aide, appui aux sociétés civiles, fin des multiples connivences politico-affairistes, la France n’ayant en Afrique « aucun intérêt économique à défendre » Sur tous ces points présentés à Cotonou comme autant de jalons sur la voie d’une nouvelle politique africaine de la France, les progrès ont été hésitants, voire imperceptibles depuis huit mois.
Ainsi en va-t-il des fameux réseaux, certes moribonds depuis longtemps et qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient à l’époque de Jacques Foccart. Le fait que la présence de Robert Bourgi, son « ami de trente ans », au sein de la délégation du président Gbagbo lors du sommet européen de Lisbonne, en décembre dernier, n’ait pas été jugée déplacée par Sarkozy, alors que certains de ses collaborateurs s’en offusquaient, est ainsi significatif de l’un des traits de ce dernier : le goût du secret et de l’action parallèle en solo, goût partagé par Claude Guéant, son homme de confiance.
Significative également l’absence persistante de recadrage des péripéties africaines de Patrick Balkany, camarade de jeunesse et intime du président. Si le député-maire de Levallois ne s’aventure pas à jouer les porteurs de messages, certains de ses proches, notamment le staff d’un périodique pro-UMP qui démarche beaucoup sur le continent, n’hésitent guère à mettre en avant cette connexion directe avec l’hôte de l’Élysée, à titre d’argument commercial.
Enfin, même s’il ne se trouve personne à Paris pour le confirmer tant le sujet est sensible, deux chefs d’État africains ont confié à J.A. avoir reçu des appels téléphoniques « au plus haut niveau » afin de plaider la cause du groupe Bolloré dans tel ou tel dossier portuaire. Interrogé à ce sujet, un très proche de ce type d’affaire avance une explication : « Vincent Bolloré est certes un ami du président, mais si intervention il y a eu, c’est uniquement pour s’assurer que la transparence de l’appel d’offres était respectée et que ce groupe français, réputé pour son sérieux et sa rectitude, bénéficiait des mêmes chances que des compétiteurs moins portés sur le respect des règles de la bonne gouvernance. » Et d’ajouter : « Si l’on se réfère à sa déclaration de Cotonou sur l’absence d’intérêts économiques de la France en Afrique, je crois que Nicolas Sarkozy a, depuis, beaucoup évolué sur ce point. »
Un retour au galop de l’afro-réalisme, donc, auquel le soldat Bockel ne se résigne pas, lui qui se refuse à imaginer que le président de l’ouverture soit, en matière africaine, celui d’une certaine continuité. On guettera donc avec intérêt son statut à l’occasion du prochain voyage de Sarkozy sur le continent. Soit il en est, ce qui signifiera qu’on l’a entendu, et peut-être même écouté. Soit il n’en est pas

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