Entre Hillary et Barack, leur cur balance

Pour qui votent les Africains-Américains ? Longtemps, leur fidélité au clan Clinton a été indéfectible. C’est beaucoup moins vrai depuis qu’un jeune sénateur nommé Obama paraît en mesure d’accéder à la Maison Blanche…

Publié le 21 janvier 2008 Lecture : 4 minutes.

Dérapage contrôlé, racisme latent ou simple maladresse ? On ne saura sans doute jamais ce qui a motivé la sortie d’Hillary Rodham Clinton, candidate à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine de 2008, à propos de Martin Luther King, l’icône africaine-américaine de la lutte pour les droits civiques. Mais le résultat est là : la question raciale s’est brusquement invitée dans le débat à l’approche des primaires dans le Deep South, et notamment en Caroline du Sud (26 janvier), où plus de 50 % des électeurs démocrates sont noirs.
« Le rêve du Dr King a commencé à se réaliser quand le président Lyndon Johnson a fait passer la loi sur les droits civiques, en 1964. Il a fallu un président pour cela », a déclaré l’ex-First Lady. A-t-elle voulu dire un président blanc ? Naturellement, l’ambiguïté du propos a suscité la polémique. Au sein de la communauté africaine-américaine, certains se sont élevés contre ce qu’ils considèrent comme une minimisation du rôle du charismatique pasteur, assassiné le 4 avril 1968, à Memphis. Premier Noir à pouvoir sérieusement prétendre devenir président des États-Unis, Barack Obama a jugé l’affirmation « mal venue ». « Le sexe des candidats n’a rien à faire dans cette campagne. Et j’espère que la race non plus », a répliqué la sénatrice de New York. À l’en croire, elle ne faisait nullement allusion à la couleur de peau de son rival, mais à son manque d’expérience.

Passe d’armes
Sans doute est-il difficile de soupçonner de racisme l’épouse du « premier président noir américain », comme Toni Morrison, la Prix Nobel de littérature, surnomma un jour Bill Clinton. « C’est une interprétation totalement injuste de mes propos. Cela fait des années que je travaille pour les droits civiques, les droits des femmes et les droits de l’homme », s’est indignée Hillary. Fondateur de la chaîne Black Entertainment Television, Bob Johnson s’est empressé de voler à son secours : « En tant qu’Africain-Américain, je me sens insulté. Bill et Hillary Clinton ont toujours été profondément et émotionnellement impliqués dans la question noire. »
L’enjeu de cette passe d’armes est évident. Si les Républicains se soucient peu du « vote noir » – qu’ils ont depuis bien longtemps perdu et ne parviennent pas à reconquérir -, celui-ci revêt une importance cruciale pour les candidats à l’investiture démocrate. Forte de la popularité de son mari dans la communauté, Hillary a longtemps cru qu’il lui était majoritairement acquis, d’autant qu’Obama, dont la mère était blanche et le père kényan, y a longtemps été considéré comme « un étranger ». Apparemment, ce n’est plus le cas.
Selon un sondage Gallup publié en ligne le 15 janvier, Hillary a eu les faveurs des démocrates d’origine africaine pendant toute l’année 2007 et jusqu’au mois dernier. Mais, depuis sa victoire dans l’Iowa, Obama est devenu un candidat crédible susceptible d’emporter l’adhésion de la majorité d’entre eux. En décembre, Clinton recueillait 53 % des voix noires, et Obama 39 %. Début janvier, la tendance s’est inversée : 57 % pour Obama, 32 % pour sa rivale. Le même institut montre néanmoins que la popularité de l’un et de l’autre est à peu près équivalente : respectivement, 82 % (Clinton) et 86 % (Obama) d’opinions favorables. Un autre sondage publié par le New York Times confirme la tendance : Obama recueille aujourd’hui 49 % des voix noires, contre 34 % pour Clinton.
Le pseudo « dérapage » de la sénatrice pourrait donc être en réalité une manuvre soigneusement calculée pour contrecarrer la stratégie de rassemblement d’Obama et tenter de circonscrire sa candidature à sa communauté d’origine. Comme le rappelle le Pr Randall Kennedy (cf. La Revue n° 12, janvier-février 2008), « quand il parle, il s’adresse à tout le peuple américain sans exception : Blancs, Noirs, Latinos, Asiatiques On ne peut pas en dire autant des autres hommes politiques noirs, qui se posent avant tout en porte-parole de leur communauté. Ils représentent toujours une juridiction, une ville Et quand ils disent nous, ils font référence à la communauté noire avant tout. »

la suite après cette publicité

Dans le secret de l’isoloir…
À la différence d’un Jesse Jackson (candidat à l’investiture démocrate en 1984 et en 1988) ou d’un Al Sharpton (candidat en 2004), Obama se veut l’homme du changement et de l’union dans une Amérique où la question raciale n’aurait plus lieu d’être. Est-ce vraiment le cas ? Si nombre d’électeurs blancs se disent prêts à voter pour un Noir quand ils répondent à une enquête d’opinion, ils ne le font pas forcément dans le secret de l’isoloir. C’est ce qu’on appelle aux États-Unis l’« effet Bradley ». En 1982, Tom Bradley, le maire noir de Los Angeles, était donné gagnant par tous les instituts de sondage pour le poste de gouverneur de Californie. Ce qui ne l’avait pas empêché d’être battu. Les sondeurs en avaient tiré la conclusion qui s’imposait : certains électeurs blancs avaient menti quant à leur intention de vote
Que Barack Obama et Hillary Clinton le veuillent ou non, le fait d’être un Noir ou une femme pèsera lors de la présidentielle du mois de novembre. La question raciale, en particulier dans les États du Sud, reste au cur des débats.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires