Tanger, la Palestine et la presse marocaine : l’œuvre de Lotfi Akalay
L’auteur tangérois, décédé ce 18 décembre, a accompagné la libéralisation de la presse marocaine, les débats sur les droits des femmes et la cause palestinienne. Le journaliste et romancier est devenu une figure de la capitale du Nord.
Le nom de Lotfi Akalay restera avant tout rattaché à celui de Tanger, où il est né en 1943. Le journaliste et romancier marocain s’est éteint ce 18 décembre. Dans différentes publications et interventions, il s’est intéressé à tous les aspects de la ville du Détroit, jusqu’à l’amour que ses habitants ont pour les clubs espagnols du Real Madrid et du FC Barcelone.
Comme de nombreux membres de sa famille, Lotfi se forme dans le militantisme de gauche, auprès du Parti communiste et de son descendant, le Parti de la Libération et du socialisme (PLS). S’il reste sympathisant de cette famille politique, il maintient néanmoins des distances avec l’activisme et l’engagement partisan.
Le lectorat marocain, lui, le suit notamment au travers des billets humoristiques et satiriques qu’il publie dans le journal du parti (aujourd’hui Parti du progrès et du socialisme), Al Bayane. Sa signature se retrouvera dans d’autres parutions, notamment Jeune Afrique, où il signe des humeurs et des articles entre 1996 et 1997.
Un ami de la presse et des lettres
Lotfi Akalay a étudié à Paris. Comme journaliste et chroniqueur, il participe dans les années 1990 à la diversification et la libéralisation de la presse marocaine francophone en accompagnant les aventures de l’hebdomadaire La Vie économique ou du mensuel Femmes du Maroc.
Sur un ton le plus souvent très subjectif, se basant sur des anecdotes, imaginant des scènes ou des dialogues, il passe à la moulinette de la critique les islamistes, la gauche, le Makhzen et plus généralement les mœurs et les coutumes. Les droits des femmes, les droits des citoyens et la corruption reviennent souvent sous sa plume.
Dans ses différents articles, Akalay suit aussi assidûment les évolutions du champ littéraire. C’est un ami des belles lettres. Dans Jeune Afrique, il s’empare de plusieurs pages pour traiter de l’œuvre de Tahar Ben Jelloun. Jusqu’à la fin de sa vie, on pouvait le croiser à la librairie des Colonnes, célèbre pour avoir vu passer tout ce que Tanger a enfanté ou attiré de plumes : Paul Bowles, Mohamed Choukri, Jean Genet, Mohamed M’rabet…
Ses romans phares
Akalay a également publié notamment deux romans : Les Nuits d’Azed au Seuil (Paris) en 1996 et Ibn Battouta, prince des voyageurs au Fennec (Casablanca) deux ans plus tard. Le premier partage des traits communs avec d’autres titres contemporains. Roman à la forme mixte entre modernité du style et flirt avec la forme ancienne du conte, il traite directement de la société : l’argent, le sexe, le pouvoir et la morale bourgeoise sont ses thèmes. Dans ce livre, traduit depuis dans plusieurs langues, abordait le sujet de la répudiation presque une dizaine d’années avant l’adoption de la réforme du Code du statut personnel, venue transformer les pratiques du divorce en 2004.
Dans le second, Akalay rendait hommage à l’explorateur amazigh né au XIVe siècle dans la région de Tanger, figure de la richesse de l’histoire nord-africaine et de la connexion ancienne du Maroc aux mondes méditerranéens, occidentaux et asiatiques. Akalay participait là aussi à une tendance lourde de réappropriation de l’histoire par des voix indépendantes et critiques, qui dure jusque dans les années 2000, avec la parution de livres comme Zaynab, reine de Marrakech de Zakya Daoud.
Le romancier tangérois restera aussi comme un sympathisant de la cause palestinienne. Au début des années 1980, il dirigeait un bureau de la compagnie la RAM à Beyrouth, alors que la ville est assiégée par les forces israéliennes. Un peu à la manière d’un autre journaliste, Khalid Jamaï, il ne cesse de rappeler l’importance de la question palestinienne, sans pour autant en devenir un militant et tout en restant critique envers les différentes idéologies de libération nées entre le Maghreb et le Moyen-Orient.
Dans les années 2000, Lotfi Akalay est fatigué par la maladie. À Tanger, son fils continue de faire tourner Calypso, une agence de voyage qu’il a monté dans les années 1980.
En 2018, le romancier, reconnaissable à son allure et son look bien particulier, moustache, petites lunettes et panama, publie à compte d’auteur un petit recueil d’histoires, Les Chaises de Tanger. Il repose maintenant au cimetière Sidi Ammar de la ville dont il a accompagné le renouveau récent et très arrimé à une vie culturelle foisonnante.
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