Ce qui fait courir Tandja

Certains le disent obstiné, voire irascible. D’autres le trouvent assez nationaliste pour engager un bras de fer avec la France. Une stratégie de la tension qui a payé notamment sur l’exploitation des mines d’uranium de son pays. Portrait d’un chef d’État

Publié le 21 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Y aurait-il une dérive autoritaire chez Mamadou Tandja ? Ce qui est sûr c’est que, depuis un an, le chef de l’État nigérien hausse le ton. Les rebelles touaregs ? « Ce sont des bandits avec qui il n’est pas question de négocier tant qu’ils ne déposeront pas les armes. » Areva ? « Nous n’avons jamais eu l’intention de chasser le groupe nucléaire français, mais nous avons voulu que chacun trouve son compte dans l’exploitation de l’uranium. »
La presse n’est pas épargnée non plus. Certes, les deux journalistes français arrêtés le 17 décembre pour avoir filmé les rebelles sont libérés. Mais le patron de la radio Saraounia et correspondant de RFI à Niamey, Moussa Kaka, est toujours détenu pour « complicité d’atteinte à l’autorité de l’État », et le directeur du journal Aïr Info, Ibrahim Manzo, pour « association de malfaiteurs ». Leur faute ? Des contacts présumés avec les rebelles. Toujours les rebelles.
À tous ses visiteurs, le chef de l’État nigérien répond la même chose : « La question touarègue est un faux problème. » Le Burkinabè Blaise Compaoré, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika et le Libyen Mouammar Kadhafi ont offert leur médiation, mais Tandja n’en a pas voulu. Pour lui, seule compte la solution militaire. Et quand une délégation étrangère arrive au Palais, l’entourage présidentiel prévient : « Ne parlez pas de la question du Nord. Cela pourrait l’irriter. »

Un homme d’ordre
L’an dernier, le président nigérien n’a pas hésité à engager un bras de fer avec la France. En juillet, il a fait expulser le directeur d’Areva au Niger, Dominique Pin, sous prétexte que les gardiens d’un site minier du groupe étaient passés à la rébellion. Nicolas Sarkozy a essayé de l’amadouer en lui téléphonant et en lui envoyant son ministre à la Coopération Jean-Marie Bockel. Mais rien n’y a fait. Les négociations se sont durcies au sujet de l’exploitation du futur site géant d’Imouraren. Finalement, le 13 janvier dernier, la présidente d’Areva Anne Lauvergeon – « l’impératrice de l’atome », comme l’appelle Sarkozy en privé – a concédé une augmentation de 50 % du prix du minerai (voir encadré p. 34). La stratégie de la tension a payé.
Mamadou Tandja, 69 ans, est d’abord un nationaliste. Issu de l’ethnie minoritaire kanourie, il est né dans une famille de commerçants près de Diffa, dans le sud-est du pays. Très vite il a choisi le métier des armes. Écoles militaires au Mali et en Côte d’Ivoire. Son destin se joue en 1974, quand il participe au coup d’État du général Seyni Kountché contre le président Diori Hamani. Tandja doit beaucoup à Kountché. Non seulement sa carrière (préfet à Maradi et Tahoua, ministre de l’Intérieur). Mais aussi sa doctrine. Comme le général, il aime la rigueur et la discipline, jusqu’à la rigidité parfois. Comme son modèle, c’est un patriote et un homme d’ordre.
Après la mort de Seyni Kountché, en 1987, le colonel Tandja commence à croire en son étoile. Il en impose par sa taille et sa carrure. Par son sang-froid aussi, dans les situations tendues. L’homme est obstiné. « Têtu », ajoute un chef d’État d’Afrique de l’Ouest. Il n’a pas un caractère facile, mais peut se montrer chaleureux. Surtout, il est constant en amitié. Et il réussit à tisser un réseau de fidèles à travers tout le pays. Marié et père de dix enfants, il se présente à la présidentielle de 1993. Certes, il est battu au second tour par Mahamane Ousmane. Mais son socle électoral est constitué. Un tiers des voix environ. Un capital qu’il conservera bon an mal an jusqu’à aujourd’hui.
Contrairement aux apparences, Tandja n’est pas seulement un homme à poigne. C’est aussi un fin tacticien. En 1991, quand il prend le contrôle de l’ancien parti-État MNSD (Mouvement national pour la société de développement), il fait tandem avec un jeune cadre peul de culture djerma, Hama Amadou. Le parti peut donc grappiller des voix à l’Est, chez les Haoussas, comme à l’Ouest, chez les Djermas. Dès cette époque, Tandja se fixe un objectif : chef d’État, ou rien. En 1995, il ne se présente pas aux législatives que gagne son parti. Il laisse à Hama le poste de Premier ministre dans un éphémère gouvernement de cohabitation avec Mahamane Ousmane. Et deux coups d’État plus tard, en 1999, il est élu président au terme d’une vraie élection démocratique.

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Dérive autoritaire ?
Le sage à la présidence et le réformateur à la primature Longtemps, le ticket Tandja-Hama fonctionne bien. Les deux hommes se complètent. En 2004, le tandem est reconduit pour un second mandat. Mais on ne reste pas Premier ministre pendant plus de sept ans sans se faire une foule d’ennemis. Le 31 mai 2007, Hama Amadou est renversé par une coalition de circonstance à l’Assemblée nationale. Mamadou Tandja ne bouge pas le petit doigt pour le sauver. Depuis, Tandja et Hama se livrent une guerre feutrée mais sans merci pour le contrôle du MNSD. Le 7 janvier, l’ex-Premier ministre est convoqué par la police. Celle-ci enquête sur l’incendie du véhicule de l’un de ses opposants au sein du parti. Comme par hasard, le président ne fait rien pour protéger son ancien dauphin.
Alors, dérive autoritaire ? « Je ne crois pas », dit une figure de l’opposition. « La chute de Hama ? C’est la faute à Hama lui-même. Il y avait trop de malversations. La rébellion touarègue ? Ses revendications ne sont pas fondées. La région d’Agadès n’est pas plus mal lotie que les autres. Au contraire. Quant aux deux journalistes nigériens, nous espérons qu’ils seront tous libérés très bientôt. » Étrange situation politique où l’opposition est plus proche du président que ne l’est le chef du parti au pouvoir, Hama !

Un président sans dauphin
Aujourd’hui, à Niamey, on s’interroge : que fera Tandja à la présidentielle de 2009 ? Certains craignent qu’il ne tente de faire réviser la Constitution pour se représenter. « Une formule le définit : l’État c’est moi », disent-ils. « Il est comme Lansana Conté. Il s’identifie tellement à son pays qu’il se croit irremplaçable. De plus, le pouvoir l’a rendu irascible. Il supporte de plus en plus mal la contradiction. » D’aucuns se demandent même s’il ne va pas laisser pourrir la situation dans le Nord pour justifier un report des élections, comme Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. En revanche, d’autres sont persuadés qu’il se retirera, conformément à la loi. « C’est un homme d’honneur. Il ne va pas tripatouiller la Loi fondamentale. De surcroît, il a dit publiquement qu’il s’en irait, et il a trop d’orgueil pour se dédire ! » Une chose est sûre, en octobre 2007, Tandja a confié au quotidien français Le Monde : « Je suis un démocrate et je me retirerai comme prévu. Je servirai mon pays autrement. »
À l’heure où les cours de l’uranium s’envolent et où les Chinois le courtisent, tout va bien pour Tandja. Mais il est confronté à une rébellion porteuse de crise, dans un pays où l’armée a déjà commis trois coups d’État. Et il n’a plus de dauphin. Évidemment, beaucoup font un parallèle avec le couple Abdoulaye Wade-Idrissa Seck au Sénégal. Tandja fera-t-il tout pour barrer la route à Hama ? C’est l’une des clés des deux années à venir.

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