Sursis onusien

Les acteurs de la crise respirent : le Conseil de sécurité a reporté l’entrée en vigueur des sanctions contre les personnalités responsables du blocage du processus de paix.

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Pas d’interdiction de voyager ni de gel des avoirs avant le 10 janvier 2005. L’alerte a toutefois été chaude dans les jours qui ont précédé ou suivi le 15 décembre, échéance fixée par la résolution 1572 pour l’entrée en vigueur de sanctions individuelles à l’encontre des personnalités ivoiriennes responsables du blocage du processus de paix dans leur pays.
Dès le 13 décembre, deux jours avant la date fatidique, les quinze membres du Conseil de sécurité se sont réunis pour écouter le rapport de Kofi Annan sur l’état d’avancement de l’application des accords de paix de Marcoussis et d’Accra III. La séance s’est déroulée en présence d’Albert Tévoédjrè, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, qui en a profité pour faire ses adieux et exprimer le souhait d’avoir pour successeur un Africain, à ses yeux plus à même de comprendre la complexité sociologique de la crise ivoirienne.
La deuxième réunion du Conseil de sécurité a eu lieu le jour J, 15 décembre, sans que l’on parvienne à arrêter une position commune. Deux approches se sont affrontées. D’une part, celle de John Danforth, représentant des États-Unis, qui s’est appuyé sur l’inachèvement des réformes prévues par les accords de paix pour réclamer l’application immédiate de l’interdiction de voyager et du gel des avoirs à des personnalités ivoiriennes à répertorier sans délai sur une liste. De l’autre, celle de Jean-Marc de La Sablière, ambassadeur de France, qui a souligné la nécessité de « temporiser » afin de donner toutes les chances de réussite à la médiation entreprise par le chef de l’État sud-africain Thabo Mbeki au nom de l’Union africaine (UA).
Plusieurs questions ont été soulevées au cours des débats, qui furent vifs. Faut-il inscrire les noms du président Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro sur la liste des personnalités à sanctionner, au risque d’empêcher matériellement toute négociation future par la restriction de leurs déplacements ? Doit-on viser tous les barons du régime ivoirien ? Ne convient-il pas d’en épargner certains, y compris parmi ceux qui méritent d’être sanctionnés, pour s’aménager des passerelles et éviter une radicalisation du camp présidentiel ?
Après d’âpres discussions, mandat a été donné à Abdallah Baali, ambassadeur d’Algérie et président du Conseil, pour préparer une déclaration sur les grandes lignes de la position onusienne. Ce qui fut fait le 16 décembre. Le document, lapidaire, a annoncé la mise en place d’un comité d’experts chargé de dresser la liste des personnalités ivoiriennes qui seront frappées par les sanctions individuelles. Mais également noté « les perspectives encourageantes » de la médiation de Mbeki, tout en assurant que « le Conseil de sécurité suivra avec vigilance la pleine application des engagements pris vis-à-vis [du président sud-africain] ». Cette pirouette diplomatique signifie que l’ONU attendra jusqu’au 10 janvier 2005 (date à laquelle le rapport Mbeki sera examiné par le Conseil de paix et de sécurité de l’UA), pour publier sa liste. Une épée de Damoclès au-dessus de la tête des acteurs ivoiriens, en somme.
Mais le résultat aurait pu être pire pour les autorités d’Abidjan, qui ont bataillé ferme en coulisses pour éviter que la sentence ne tombe le 15 décembre. Quelques jours avant cette date, a débarqué à New York la directrice adjointe du cabinet de Gbagbo, Sarata Touré, « connectée » à la nouvelle secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice. En charge du lobbying aux États-Unis, elle a multiplié les rencontres. Est également entré en action, en direction du gouvernement américain, Quinn Gillespie & Associates, un cabinet de lobbying auquel a fait appel le gouvernement ivoirien à l’issue d’un voyage aux États-Unis, en octobre, de Désiré Tagro, porte-parole de Laurent Gbagbo.
Vis-à-vis de la France, le pouvoir ivoirien a soufflé le chaud et le froid : de dures réactions publiques et une apaisante diplomatie secrète. Paul-Antoine Bohoun Bouabré, ministre des Finances et homme de confiance de Gbagbo, a ainsi été dépêché à la mi-décembre par le chef de l’État ivoirien auprès du ministre français des Affaires étrangères Michel Barnier.
Parallèlement à cette intense activité souterraine, Laurent Gbagbo a pris de nombreuses initiatives internes, en parfaite concertation avec Mbeki, opposé au principe même des sanctions, intimement convaincu que celles-ci n’auraient pas plus de résultats en Côte d’Ivoire qu’au Zimbabwe.
Face aux risques de débordements que présentait la marche que devaient organiser les « Jeunes patriotes » le 11 décembre à Abidjan, Gbagbo a pris un décret la veille pour interdire toute manifestation sur la voie publique jusqu’au 10 mars 2005. Dans le même registre, le ministre ivoirien de la Sécurité, Martin Bléou, a annoncé, le 16 décembre, la mise en place « très prochaine » à Abidjan de patrouilles mixtes formées d’éléments des Fanci (armée loyaliste) et de Casques bleus de l’Onuci pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Cette décision n’a rien de fortuit. Le rapport sur les tueries du 25 au 27 mars 2004 et celui sur les violations des droits de l’homme depuis le 19 septembre 2002, dans lesquels figurent les noms de personnalités jugées responsables des abus, sont aujourd’hui au coeur des débats au Conseil de sécurité et risquent de peser dans l’élaboration de la liste tant redoutée.
Pour mettre le maximum de chances de son côté, Laurent Gbagbo a rencontré à plusieurs reprises, dans les jours qui ont précédé le 15 décembre, les membres du Comité international de suivi des accords de paix. Le numéro un ivoirien a ainsi tenté de convaincre de sa bonne foi Alan Doss (représentant spécial adjoint du secrétaire général de l’ONU), André Salifou (représentant du président de la commission de l’UA), Lansana Kouyaté (représentant du secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie) et Aubrey Hooks (ambassadeur des États-Unis en Côte d’Ivoire).
Le 15 décembre, Gbagbo est revenu à la charge, déclarant qu’il avait fait adopter en Conseil des ministres tous les projets de loi prévus par les accords et transmis tous les textes au Parlement, qui en a voté une bonne partie. Dont, le 17 décembre, la révision de l’article 35 de la Constitution relatif aux conditions d’éligibilité à la présidence de la République. C’est fort de tout cela que Gbagbo entend continuer à demander à la communauté internationale de contraindre l’opposition politique et la rébellion armée à « exécuter leur part des accords ».
Devant ces nombreuses initiatives du camp présidentiel, une délégation des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion), dirigée par le secrétaire général adjoint Dacoury Tabley et le porte-parole Sidiki Konaté, est arrivée dans la nuit du 15 au 16 décembre à Johannesburg pour présenter à Mbeki un « plan de relance du processus de paix ». Une façon de convaincre le Conseil de sécurité que les dirigeants des FN ne sont pas passibles de sanctions pour obstruction au retour de la paix.
L’interdiction de voyager et le gel des avoirs font visiblement peur aux différents protagonistes. Seront-ils appliqués après le 10 janvier ? Rien n’est moins sûr, surtout si Mbeki conserve jusque-là l’espoir de faire aboutir sa médiation et s’il continue à être en phase avec la France sur l’idée que les sanctions ne sont pas une fin en soi, mais un élément du règlement global de la crise ivoirienne. Un premier délai obtenu, le président sud-africain pourrait en solliciter un autre, étant convaincu de ne pas pouvoir faire de miracle d’ici au 10 janvier. Son porte-parole, Bheki Khumalo, l’a clairement signifié, le 17 décembre : « L’Afrique du Sud ne s’attend pas à un règlement rapide de la crise en Côte d’Ivoire. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires