Savoir-faire en eaux profondes

De l’amélioration des installations à la mise en exploitation de nouveaux sites, les groupes parapétroliers sont les premiers à bénéficier de la nouvelle donne. Exemple avec le français Technip.

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 5 minutes.

L’actualité est riche pour Technip en cette fin d’année. Les analystes boursiers n’ont que ce nom à la bouche. Selon eux, la valeur ne cessera de monter dans l’avenir. La hausse du prix du pétrole fait que ceux qui le cherchent, qui le pompent, l’acheminent, le raffinent ou le transforment ne peuvent que s’enrichir dans les années à venir. Et Technip est de ceux-là. Première société d’ingénierie pétrolière européenne, une des cinq grandes mondiales, la société qui emploie 19 000 personnes sur les cinq continents a de beaux jours devant elle, sur un marché de l’industrie parapétrolière qui dépasse les 120 milliards de dollars annuels. En 2003, Technip a réalisé un chiffre d’affaires de 4,7 milliards d’euros, en progression de 6 % par rapport à l’année précédente, et un bénéfice net avant impôts de 176 millions d’euros, en hausse de 30 %. Sur le seul premier semestre 2004, le chiffre d’affaires a progressé de 16 %. Daniel Valot, PDG du groupe, se réjouit de la conjoncture : « Sur nos marchés, les segments en plus forte croissance seront d’une part le développement des champs situés en eaux profondes et ultraprofondes, d’autre part la valorisation des grandes réserves de gaz situées loin des principales zones de consommation. »
Hydrocarbures en eaux profondes, gaz éloigné des marchés consommateurs : derrière ces deux définitions, il est facile de reconnaître l’Afrique. De plus en plus, le continent découvre les plates-formes pétrolières assemblées par Technip, ses robots sous-marins tireurs de lourds tuyaux, ses navires d’exploitation, ses pipelines et parfois ses usines. Les contrats signés en 2004 l’illustrent. En janvier, en partenariat avec Stolt Offshore, le groupe remportait un contrat de 730 millions de dollars pour le développement du champ Greater Plutonio situé au large des côtes angolaises, entre 1 200 et 1 500 m de profondeur. Le Deep Blue, son navire multifonction, devra tirer en 2006 plus de 112 km de conduites, flexibles ou rigides, pour relier une douzaine de structures sous-marines. Sept mois plus tard, en juillet, la société remportait un contrat de 47 millions d’euros attribué par Sasol, en Afrique du Sud, portant sur la livraison en décembre 2005, « prête au démarrage », à Secunda, à 150 km au nord-est de Johannesburg, d’une usine de polypropylène. Il s’agit d’un plastique très résistant utilisé dans les secteurs de l’automobile et de l’électroménager.
Deux autres contrats africains ont été signés en août. Le premier, au Nigeria, est la suite de l’aventure conjointe menée dans le cadre du consortium TSKJ, dont les initiales représentent Technip et ses trois associés dans la construction du grand complexe de liquéfaction de gaz naturel de Bonny Island, dans le delta du Niger : l’italien Snamprogetti, le japonais JGC et Kellog Brown and Root (KBR), filiale du groupe Halliburton que dirigea jadis le vice-président américain Dick Cheney. Une nouvelle tranche de l’usine permettra de porter sa capacité de production à 22 millions de tonnes par an. Le second contrat africain, d’un montant de 50 millions d’euros, concerne la construction et l’installation, au large de la Libye, pour le compte d’Agip, des tuyauteries nécessaires à la liaison entre quatre puits à creuser, un collecteur central et une plate-forme sur le champ oriental de Bouri.
Mais le grand événement vécu par le groupe français en Afrique s’est déroulé en mars 2004. Ce jour-là, Technip et Sonangol, la société pétrolière angolaise, inauguraient, à Lobito, l’usine Angoflex Limitada. Première de ce genre sur le continent, elle a été conçue pour fabriquer des « ombilicaux », ces faisceaux de tuyaux et de câbles qui transportent les messages électriques ou électroniques pour assurer, depuis les plates-formes pétrolières, le fonctionnement des équipements sous-marins. L’investissement a suscité la grogne des syndicats français, inquiets de l’envergure de cette délocalisation industrielle. Il confirme aussi la volonté du groupe de faire de l’Angola une de ses places fortes. Dès mai 2000, Sonangol (40 %) et Technip (60 %) créaient ensemble la société d’ingénierie Technip Angola Limitada en vue de la construction d’une raffinerie.
En Égypte, en Mauritanie, on voit aussi les techniciens et les ingénieurs de Technip s’affairer autour de l’or noir ou du gaz. Leur plus récent exploit technique remonte à quelques mois, avec pour cadre Trinidad et Tobago, aux Caraïbes : la construction et la mise en service, en un temps record, d’une plate-forme capable de produire 5 millions de tonnes de brut et 3 milliards de m3 de gaz. Le 13 mai, BHP Billiton, Total et Talisman passaient commande. Un mois et trois jours après la signature du contrat, le chantier de construction démarrait, à Ingleside, au Texas. Après 300 000 heures de travail, la structure de 3 500 tonnes était achevée et son transfert par bateau commençait le 2 septembre. Le 21, sur le champ Angostura, à 35 km de Trinidad, l’exploitation pouvait commencer.
Le succès du groupe est d’autant plus remarqué qu’il est récent. Dans les années 1990, le gouvernement français se lamentait encore de voir que la France restait un nain dans le secteur parapétrolier face aux géants Halliburton, Baker Hugues ou Schlumberger. Dès lors, tout a été fait, avec l’aide d’Elf, devenu depuis Total, pour créer un acteur majeur. D’où les rumeurs persistantes d’une certaine liberté prise avec l’éthique. En décembre 1998, Technip change de dimension une première fois avec l’acquisition de deux filiales de l’allemand Mannesman, KTI (raffinage et pétrochimie) et MDEU (énergie et environnement). Rien à redire, si ce n’est une terrible querelle d’experts sur le coût réel de l’acquisition. La deuxième étape de croissance a soulevé d’autres interrogations. En 2001, Technip lançait une offre publique d’échange (OPE) sur Coflexip, une autre société parapétrolière française dont il détenait déjà près d’un tiers du capital. Près de la moitié appartenait à l’Institut français du pétrole (IFP), via une de ses filiales. Alors que Technip pesait deux fois moins en Bourse que son partenaire, l’OPE a réussi. Pour de nombreux observateurs, cela ne pouvait se faire qu’avec l’aide de l’État, patron de l’IFP. Au passage, selon le quotidien Libération, les contribuables français auraient fait un « cadeau » de 300 millions d’euros à Technip. Aucune suite ne fut donnée à l’affaire.
C’est l’année suivante qu’allait éclater une autre histoire, toujours en cours, celle-ci. Alors que la justice française explorait les méandres du gigantesque détournement de fonds perpétré par les dirigeants d’Elf, Georges Krammer, ex-directeur général de Technip, révélait à la justice l’existence d’une caisse noire sur l’île de Madère « servant à alimenter les commissions offshore » devant être versées au Nigeria dans le cadre de l’usine gazière de Bonny Island. Au total, 154 millions d’euros auraient transité par l’intermédiaire d’un certain Jack Stanley, consultant chez Halliburton. Plus tard, on apprenait que, via un système complexe de rétrocommissions, certains acteurs du montage financier en auraient largement bénéficié. « L’opération était parfaitement régulière », n’ont cessé de répéter les avocats de Technip. Le 8 novembre, pourtant, survenait un élément nouveau : Halliburton a reconnu avoir versé 132 millions de dollars à Jack Stanley et que des commissions injustifiées « ont pu être versées » à des responsables nigérians. Il en est souvent ainsi des belles histoires de pétrole. Entre succès et faits divers, la concomitance de ces deux actualités résume à quel point, dans le monde de l’or noir, il n’est guère facile d’être un acteur de premier plan sans être accusé de se salir les mains.

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