[Tribune] Félix Tshisekedi ne doit pas ouvrir la boîte de Pandore de la révision constitutionnelle
Si le président congolais a promis, dans la perpective d’une réforme constitutionnelle, de veiller « à ce que personne ne touche à des dispositions intangibles », le rapport de force au Parlement ne lui est pas favorable. Pour le politologue Isidore Kwandja Ngembo, le risque est donc grand d’ouvrir ainsi la boîte de Pandore.
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Isidore Kwandja Ngembo
Politologue et ancien conseiller à la direction de l’Afrique centrale et occidentale au ministère canadien des Affaires étrangères et du commerce international.
Publié le 31 décembre 2019 Lecture : 4 minutes.
Lors de son tout premier discours sur l’état de la Nation, devant les deux chambres du Parlement réunies en Congrès, le président congolais Félix Tshisekedi a clairement appelé députés et sénateurs à engager une réflexion sur plusieurs modifications constitutionnelles.
Parmi elles, la possibilité de revoir le mode de scrutin pour les élections des gouverneurs et sénateurs, de revenir à une élection présidentielle à deux tours, et de réviser les dispositions de l’article 10 de la Constitution qui consacrent la règle de l’unité et de l’exclusivité de la nationalité congolaise.
Cela voudrait dire qu’il faudrait rouvrir le débat politique sur la réforme constitutionnelle. Les alliés du Front commun pour le Congo (FCC) ont saisi la balle au bond, en appuyant l’idée du chef de l’État de réviser la Constitution, mais pas forcément pour les mêmes raisons que celles évoquées par Félix Tshisekedi.
En théorie, l’idée n’est pas mauvaise. Mais dans la pratique, il est légitime de se demander si Félix Tshisekedi sera en mesure d’encadrer le débat au Parlement pour éviter tout débordement sur des sujets sensibles, lui qui n’y dispose pas de majorité.
Risque de dérapages
Il ne fait aucun doute que les préoccupations exprimées par le président Tshisekedi, notamment au sujet de la double nationalité, sont fondées.
À ce jour, on estime que près de 8 millions de Congolais vivent à l’étranger pour des raisons politiques ou économiques, et une bonne partie d’entre eux aurait acquis la nationalité du pays d’accueil en vue de leur intégration. Beaucoup souhaitent regagner leur pays d’origine, s’y installer définitivement, y investir ou démarrer une entreprise. D’autres voudront bien mettre la main à la pâte et contribuer à la reconstruction politique et économique.
L’intention d’amender la Constitution pour résoudre définitivement cette question de la double nationalité – au point mort depuis l’adoption, le 12 février 2007, du moratoire sur la mise en application de la législation congolaise en matière de nationalité – , réjouit les membres de la diaspora congolaise. Il faut le reconnaître : ces derniers ont joué un rôle important dans la lutte pour cette alternance démocratique, au-delà de l’envoi de fonds aux membres de leur famille ayant contribué à l’apaisement de la tension sociale au pays.
Réviser la Constitution serait comme ouvrir la boîte de Pandore
Mais réviser la Constitution dans le contexte actuel serait comme ouvrir la boîte de Pandore, avec le risque d’entamer un débat sur les dispositions intangibles du texte, sur lesquelles personne ne connaît exactement les intentions des uns et des autres, et dont aucun n’est en mesure d’anticiper les conséquences. « Nous veillerons, vous et moi, à ce que personne ne touche à des dispositions intangibles ou verrouillées », a pourtant promis le président Félix Tshisekedi dans son discours.
Pas de majorité politique nécessaire
Disons les choses comme elles sont. Le chef de l’État manifeste certes une volonté politique forte de faire avancer le pays, mais il sait pertinemment qu’il n’a pas la majorité nécessaire pour faire adopter les modifications voulues.
Le rapport de force au Parlement n’est pas du tout en sa faveur. Il n’a pas non plus les moyens politiques nécessaires pour faire face à d’autres formations politiques, ni même empêcher ceux qui voudront aller au-delà de ses trois propositions d’amendements de la Constitution.
Le dernier débat constitutionnel avait fait rage dans l’opinion publique
Le dernier débat constitutionnel, à la veille des élections de 2018, avait fait rage dans l’opinion publique. La question de la levée de l’interdiction, pour l’ancien président de la République Joseph Kabila, de se présenter pour un troisième mandat présidentiel, avait cristallisé les tensions. Ce débat est encore frais dans la mémoire de nombreux Congolais.
La Constitution congolaise, qui aura bientôt quatorze ans, est le résultat d’un consensus laborieusement obtenu après une décennie de guerre civile, de conflits, et d’une partition de fait du pays. Avec comme conséquences le pillage systématique des ressources minières et la destruction totale de son économie.
Cette Constitution est surtout le fruit d’une volonté commune du peuple congolais de bâtir un État de droit, fondé sur la démocratie, la primauté du droit, ainsi que sur les libertés fondamentales, et de vivre dans un pays fondé sur les valeurs fondamentales de la paix, de la justice, de la tolérance et de la solidarité.
Situation politique encore très fragile
Bien que l’alternance pacifique et démocratique survenue en RDC soit saluée par la grande majorité du peuple congolais et de la communauté internationale, il ne faut pas se leurrer : la situation politique est encore très fragile. Le pays n’est pas totalement en paix, ni sécurisé. Le pillage de ressources minières continue comme avant. Il n’est donc dans l’intérêt de personne d’ouvrir la boîte de Pandore, d’où pourraient sortir des maux jusqu’ici inconnus.
Félix Tshisekedi sait bien que les attentes du peuple congolais sont légitimement élevées
L’avènement au pouvoir de Félix Tshisekedi a suscité un regain d’intérêt et d’espoir pour un véritable changement dans la gestion des affaires publiques d’un pays potentiellement riche, mais dont la population est malheureusement l’une des plus pauvres de la planète.
Le pays a de nombreuses priorités, qui nécessitent des réponses adéquates à court, moyen et long terme. Et, Félix Tshisekedi sait bien que les attentes du peuple congolais sont légitimement élevées. Il a donc beaucoup de défis à relever, notamment ceux de rebâtir l’économie nationale et de donner du travail à une population jeune et dynamique.
Mais si l’alternance politique n’est pas suivie des grandes réformes qui s’imposent pour améliorer le quotidien, la déception du peuple congolais sera grande, après 38 ans d’espoir pour le changement prôné par l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti politique ayant porté Félix Tshisekedi au pouvoir.
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