Mahmoud Messaadi

L’écrivain et homme politique tunisien est décédé le 16 décembre

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Un grand nom de la littérature tunisienne vient de disparaître et avec lui sans doute l’une des plus belles plumes arabes contemporaines. Mahmoud Messaadi s’est éteint le 16 décembre à l’hôpital Mongi-Slim de la Marsa, non loin de Tunis. Il avait 93 ans. Celui qui s’était retiré de la vie publique depuis presque deux décennies venait, dans un dernier sursaut, de publier son dernier livre. Il renouait ainsi avec ses anciennes amours après avoir été happé par la politique un quart de siècle durant.
Né en 1911 à Tazarka, dans le cap Bon, Messaadi avait en effet rédigé la plus grande partie de son oeuvre dans les années 1940, après des études de langue arabe puis de lettres françaises à Paris, entre 1933 et 1936. Agrégé d’arabe, parfait francophone, il est promis à une brillante carrière universitaire.

Son engagement dans la lutte de libération oriente toutefois son destin. Très vite, ce militant syndicaliste devient une des pièces maîtresses du dispositif politique de Bourguiba qui lui confie de très hautes responsabilités dès l’indépendance. Après un passage au sein de la direction de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), de 1949 à 1955, il se voit chargé du secrétariat d’État à l’Éducation nationale (1958 à 1968). C’est là qu’il se distingue comme le fondateur de l’université tunisienne et le père de la généralisation de l’enseignement pas un village qui n’ait pu bénéficier d’une école grâce à sa politique. Il réalise la première réforme de l’enseignement, supprimant les
écoles coraniques et décidant, tout en demeurant un partisan du bilinguisme, que les deux premières années du primaire se feraient uniquement en arabe. En 1969, il est nommé ministre d’État auprès du Premier ministre, puis devient ministre de la Culture (1973-1976), avant de présider la Chambre des députés (1981-1987).
Pour autant, les exploits politiques de l’homme n’effaceront pas son oeuvre intellectuelle. Et elle est magistrale. Même si sa forte teneur philosophique n’est pas à la portée du premier bachelier. Le plus connu de ses écrits est sans conteste As-Sod (« Le Barrage »), pièce dramatique qui a marqué la jeunesse postcoloniale du Maghreb en partie, de toute la Tunisie à coup sûr, car elle fut régulièrement programmée en classe terminale à côté des incontournables poètes classiques Al-Maarri et Al-Moutanabbi. As-Sod raconte l’histoire d’un couple que tout oppose, sauf la fusion amoureuse et intellectuelle. Il vit dans une vallée aride que Maïmouna, la femme, accepte telle quelle, mais que son compagnon, Ghaïlane, veut à tout prix transformer en y installant un barrage.

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Méditation sur l’existence et la foi, cette uvre à la maîtrise littéraire et à la pureté linguistique remarquables aura marqué des générations d’étudiants tunisiens qui, vingt ans, trente ans après, entendent encore le dialogue du couple et cette fameuse réplique de Ghaïlane: « Non, Maïmouna, c’est plutôt au déni des normes et des obstacles, au refus de l’impotence et de la soumission que je t’appelle! »
On aura saisi la veine existentialiste et angoissée d’un texte dont la conviction est que l’humain reste seul objet de foi. L’on comprend aussi pourquoi As-Sod fut boudé au Machrek, incompris par l’illustre Taha Hussein, encore honni aujourd’hui par un conservatisme religieux qui l’accuse tout bonnement d’être « impie ».
Sa deuxième fiction, Ainsi parlait Abou Houraïra, va plus loin dans la liberté de penser, peignant le grand transmetteur des hadiths Abou Houraïra en défroqué, amateur de lupanars, de cérémonies païennes et érotiques. Enfin, dans deux courts écrits, Mawlid al-Nisyan (« La naissance de l’oubli ») et Min ayyam Imrane (« Quelques jours de la vie d’Imrane »), Messaadi livre sa véritable métaphysique dont le postulat est simple : le monde d’ici-bas est notre ultime demeure. En vain chercherait-on ailleurs le paradis ou la damnation*.
Celui qui, en 1983, posait dans les pages de Jeune Afrique cette question : « Qu’est-ce que la vie ? », a désormais rendez-vous avec la mort. Et peut-être les premiers éléments d’une réponse à ses interrogations.

* Les principaux ouvrages de Mahmoud Messaadi sont disponibles depuis quelques années dans plusieurs traductions, dont le français, le néerlandais, l’italien et l’espagnol. Avec l’aide de l’État tunisien, Sud édition a publié en 2003 à Tunis l’uvre complète de l’auteur en quatre volumes.

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