Les grandes compagnies se mettent au vert

Accusées des pires maux, dont les marées noires, les majors ont singulièrement redressé leur image. Au nom du « développement durable ».

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Quel est le lien entre la protection des tigres asiatiques, la reconversion professionnelle des ouvriers de l’usine Lafarge de Tétouan, au Maroc, ou le fait de ne pas couper l’électricité aux personnes sans ressources ? C’est le développement durable, un concept né en 1987 avec la publication du rapport Brundtland pour les Nations unies. L’idée est de promouvoir un développement qui s’efforce de « répondre aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures de répondre aux leurs ». Le principe a été largement repris au premier sommet de la Terre, à Rio, en 1992. Dans une atmosphère assez euphorique, les représentants des 179 gouvernements présents s’étaient accordés sur une série de propositions non contraignantes concernant les grands enjeux sociaux et environnementaux du XXIe siècle, dont la bible est l’Agenda 21.
Douze ans plus tard, le développement durable est devenu le fer de lance des politiques sociales et environnementales mises en place par les entreprises et les collectivités locales. Le concept tombait à pic pour les grandes entreprises des secteurs les plus polluants, de l’énergie, de la construction ou de l’automobile, qui cherchaient à redorer leur image de marque auprès des consommateurs. Une des toutes premières sociétés à s’être lancée dans une telle démarche est le groupe Shell. En 1995, son image dans l’opinion internationale était devenue désastreuse à la suite de deux affaires, l’une était la décision de couler au fond de l’Atlantique la plateforme pétrolière Brent Spar devenue hors d’usage, et l’autre son implication présumée dans l’exécution au Nigeria de l’opposant Ken Saro-Wiwa, ainsi que d’autres activistes. Une nouvelle stratégie de communication axée sur le développement durable lui a permis de reconquérir en partie les coeurs et les esprits. Aujourd’hui, le groupe se flatte d’être devenu le premier producteur mondial d’énergie solaire, au travers notamment d’une fondation, le Fonds de l’environnement de Shell, dotée d’un budget annuel de 30 millions de dollars destiné à soutenir des projets d’énergies renouvelables et d’investissements sociaux dans le monde. De nombreuses autres multinationales lui ont emboîté le pas, séduites par un avenir qui concilie croissance économique, protection de l’environnement et équité sociale.
Dans la réalité, des actions très disparates sont rassemblées sous le vocable de développement durable, allant de la sauvegarde des tigres, financée par ExxonMobil, jusqu’au fait de faire travailler des « compétences extérieures : urbanistes, architectes, médecins, scientifiques… » chez l’électricien français EDF ou de former le personnel interne… Mais en général, les premières mesures mises en avant par les entreprises portent sur la réduction des déchets et de l’émission de polluants. Sur ce plan, l’heure est à la transparence, les groupes s’engagent publiquement et donnent des chiffres. Pour Total par exemple, sa priorité première est de s’inscrire dans le protocole de Kyoto sur le changement climatique, avec la volonté de baisser de 30 %, entre 1990 et 2005, les émissions de gaz carbonique par tonne de pétrole produite. Le fabricant de ciment Lafarge, un autre gros pollueur, affiche un objectif de réduction des émissions de poussières de ses fours. Sur un autre plan, EDF veut accélérer la prise en compte des énergies renouvelables et prévoit de conquérir 20 % à 30 % du marché de l’éolien en France d’ici à 2010.
Autre grand volet du développement durable, l’aspect social recouvre des notions telles que le respect pour les employés et pour les plus faibles, la transparence des décisions, la participation, la lutte contre la corruption, etc. La liste des bonnes résolutions est très longue. EDF garantit un service minimum à ses clients en difficulté financière. Lafarge s’est engagé dans la lutte contre le sida en Afrique, notamment en Ouganda, en Tanzanie, au Cameroun et au Kenya, dans le cadre d’un partenariat avec l’association Care. Certaines ONG sont d’ailleurs devenues les relais des entreprises pour le développement durable, à l’instar du Comité 21, financé en grande partie par les entreprises qui en sont membres, dont EDF, Lafarge, Carrefour, PSA, Renault, Shell ou Vinci. Ou encore l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie (IEPF), établi au Québec, qui a monté plusieurs actions sur le terrain, dont une petite installation pour fabriquer du biogaz en vue d’éclairer un village en Guinée et la mise en service d’une petite centrale hydroélectrique au Rwanda, qui alimente en électricité une population de 3 000 personnes.
Mais tous les défenseurs de l’environnement ne sont pas aussi conciliants, et beaucoup dénoncent les aspects « poudre aux yeux » de ces politiques d’entreprises. Peu de temps avant sa mort, en mai 2003, le philanthrope Sadruddin Aga Khan avait dénoncé avec virulence ce monde des affaires qui a perverti le concept de développement durable. Il est vrai que malgré les prouesses des industriels, les émissions de polluants continuent de croître à un rythme non contrôlé. Par exemple lorsque le groupe Lafarge se targue d’une réduction de 11,86 % de ses émissions de CO2 par tonne de ciment produite depuis 1990, il reconnaît en même temps que l’augmentation de ses émissions mondiales sur la même période a été, du fait de la croissance économique et de ses ventes, de 8,6 %…

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