L’apartheid par le fusain et la gomme

Dessinateur, réalisateur de films d’animation, metteur en scène d’opéras, William Kentridge est une figure originale du paysage artistique sud- africain.

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Le dessinateur et animateur sud-africain William Kentridge est à l’honneur cette année en France. Au début de 2004, une sélection de ses dessins et de ses courts-métrages récents était présentée à Valence près de Lyon, sur plusieurs lieux d’exposition dédiés à l’art contemporain, à Art3, au Crac et au musée de Valence. La présentation de l’oeuvre de cet artiste aux multiples facettes se poursuit au musée-château d’Annecy jusqu’à fin janvier 2005. Parallèlement, William Kentridge peaufine en secret les derniers éléments d’une mise en scène étonnante sur La Flûte enchantée de Mozart, qui sera présentée courant 2 005 en Afrique du Sud, ainsi qu’à la Monnaie, l’opéra national de Belgique, puis dans le reste de l’Europe.
Formé au dessin dans les années 1970, William Kentridge a abordé le mime et le jeu d’acteur pour le théâtre. Il en a gardé le goût du geste expressif, un savoir qu’il a su mettre à profit pour réaliser ses films. Sa réputation d’artiste engagé vient de ses courts- métrages d’animation, qui lui ont valu une reconnaissance internationale. À presque 50 ans, il en a plus de trente à son actif. Les premiers décrivaient l’atmosphère particulière de l’apartheid entremêlant avec talent mémoire individuelle et histoire collective, passé colonial et événements présents de l’Afrique du Sud.
Son engagement a continué après 1994, en particulier autour des travaux de la Commission Vérité et Réconciliation. Le résultat est une série de neuf courts-métrages « Drawings for Projection », réalisés entre 1989 et 2003, et qui furent présentés à Valence. Ces films mettent en scène Soho Eckstein, une caricature d’homme d’affaires cynique et avide, et Felix Teitelbaum, alter ego du réalisateur et conscience de Soho.
Réalisés au fusain et au pastel, décrivant sans complaisance les paysages industriels de l’Afrique du Sud, les dessins de William Kentridge prennent vie par métamorphoses successives grâce à un jeu d’ajouts et d’effacements partiels. Chaque étape d’un dessin est soigneusement photographiée, fabriquant progressivement le film. Travaillant sans story-board ni scénario préétabli, William Kentridge aime à expliquer que « c’est l’énergie de faire qui lui donne des idées ». Une méthode de travail à rapprocher du sujet même de son oeuvre, le présent est décrypté au travers des déformations que la mémoire opère sur le passé.
D’autant que la mémoire de certains – le discours secrété par le pouvoir – devient d’office celle de tous. Pourtant, la mémoire occultée ne l’est jamais complètement, et Kentridge s’efforce de remettre à nu ces oublis volontaires. « La mémoire est dépourvue de toute capacité créatrice, précise-t-il. En revanche, l’oubli est la condition préalable à toute innovation. Mon travail politique porte sur le déroulement des événements qui mène au présent, un cheminement essentiel pour comprendre la construction de ce présent, et mettre en relief ses ombres. Par exemple, il y a de nouveaux millionnaires dans l’Afrique du Sud actuelle. Ils étaient les héros du mouvement syndical vingt ou trente ans auparavant. Ce qui m’intéresse, c’est le processus politique et mental qui a transformé des héros de la résistance en une riche élite. »
William Kentridge pense que les problèmes politiques contemporains de l’Afrique du Sud sont moins bien compris à l’extérieur. Il considère que jusqu’en 1994, le monde avait une vision relativement juste de la situation de son pays, avec l’émergence d’un héros international, Nelson Mandela. « Maintenant, regrette-t-il, les gens sont perdus par les détails de la politique. On s’intéresse moins au pays, à part pour le sida. »

William Kentridge, films d’animation et dessins, au Musée-Château d’Annecy (France), jusqu’au 31 janvier 2005.Tél. : (33) 4 50 33 87 30.

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