[Chronique] Vœux présidentiels des chefs d’État africains : messages, maquillage et retweets
Frais émoulus ou vieux routiers, les dirigeants africains se sont pliés à l’exercice de la présentation audiovisuelle de vœux à la Nation. Et au décryptage par les réseaux sociaux…
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 2 janvier 2020 Lecture : 3 minutes.
Sur le pont étroit qui relie, à la Saint-Sylvestre, une année à la suivante, l’attention réduite des réveillonneurs aux questions politiques est largement réservée à la proclamation des vœux présidentiels. Si les chaînes de télévision publiques sont de plus en plus négligées par les citoyens, le relais numérique des réseaux sociaux permet à ces monologues engoncés de conserver une audience déterminante. Le caractère ampoulé de l’exercice étant avéré et les annonces généreuses rarement au rendez-vous, les allocutions du « 31 » sont d’abord des happenings audiovisuels.
« Qui a grossi ? » ou « qui s’est remis d’un pépin de santé ? » sont les premières questions que se posent les scrutateurs des soliloques de présidents. Une trop bonne mine paraîtra suspecte, aux yeux de complotistes qui présupposent que les hommes de pouvoir sont indûment fainéants et gourmands. À l’inverse, un air flapi pourra être interprété comme le signe d’une maladie dissimulée.
Et comme l’époque est à l’interprétation people de toute apparition, les discoureurs du jour font appel aux spécialistes du marketing audiovisuel. Le danger du direct est aujourd’hui écarté, en témoigne la lumière du jour visible sur certaines vidéos.
Exercice audiovisuel
Le décor d’Ibrahim Boubakar Keïta (IBK) est sobre à l’extrême – fond uni bleu marine -, celui d’Ali Bongo est fait de boiserie et d’ouvrages, tandis que celui du bizuth Félix Tshisekedi est surchargé de verdure, tapis rouge, gazouillis et garde prétorienne en tenue d’apparat.
Si le drapeau national est un passage obligé, il est parfois associé à ceux d’organisations sous-régionales ou continentales. Le président ivoirien Alassane Ouattara s’exprime les coudes ancrés sur un bureau, comme pour dire « Je suis bien vrillé sur mon trône en cette année électorale », tandis que le Tchadien Idriss Déby Itno s’exprime debout, comme pour signaler qu’il reste « vert » en cette année de trentième anniversaire de son accession au pouvoir.
Une fois évaluée l’opportunité de lunettes et choisie la tenue d’apparat – costume-cravate « occidental » pour le plus grand nombre des francophones, d’Ali Bongo à Macky Sall en passant par Patrice Talon et le réfractaire Roch Marc Christian Kaboré -, il reste aux prestidigitateurs de l’audiovisuel à mettre en branle les ressorts du maquillage, de la lumière et des cadrages.
Si, en la circonstance, l’imagination est largement bridée au profit du solennel « face caméra », les Congolais démocratiques ont eu droit à toute la gamme des angles : leur président de dos au passage en revue des troupes ; en mode « les yeux dans les yeux », mais aussi dans des plans de coupe en contre-plongée avec le regard perdu vers un horizon imaginaire.
Clin d'oeil #nouvelan2020 du Président #IBK à ses amis des réseaux sociaux pic.twitter.com/seggU9vkf6
— Presidence Mali (@PresidenceMali) December 31, 2019
Affirmer sa souveraineté
Le décor planté et l’esbroufe des communicants évaporée, chaque chef d’État, sur le fond, voit midi à sa porte annuelle. À l’orée d’une kyrielle de « soixantenaires » d’indépendance et à deux semaines d’une « convocation » gauloise à Pau, il s’agit d’affirmer sa souveraineté sous deux angles principaux. Un air martial évoque l’impératif de sécurité, sahélienne ou congolaise, tandis qu’un ton paternaliste dresse les immanquables bilans et perspectives économiques du moment : lutte contre la corruption pour Ali Bongo, austérité budgétaire pour Andry Rajoelina ou création de l’eco pour Macky Sall.
Si les réseaux sociaux sont devenus le vecteur principal de ces adresses présidentielles, il faut jouer le jeu des pouces bleus et des retweets
Si la politique politicienne est largement proscrite de ce genre d’exercice, certains présidents se laissent tenter par le filigrane -allusion voilée de Ouattara au cas Soro – ou le tacle plus frontal. Quand la cible est étrangère pour Idriss Déby – la communauté internationale trop timorée dans la lutte contre le jihadisme au Sahel -, elle est nationale pour un Alpha Condé qui met en garde les opposants à son projet de référendum constitutionnel.
Si les réseaux sociaux sont devenus le vecteur principal de ces adresses présidentielles, il faut jouer le jeu des pouces bleus et des retweets. Car la guerre de la comm’ compose aujourd’hui avec un crime de lèse-majesté viral : l’allocution d’opposant à cette même heure sacralisée des vœux présidentiels. En Côte d’Ivoire, ce sont les nombres de vues de deux discours qui ont focalisé les décryptages : celui du chef de l’État et celui de Guillaume Soro.
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