Faute de combattants

Une opposition éclaboussée par les scandales et affaiblie par ses déchirements, un chef de l’État sortant qui part favori. La présidentielle de décembre 2005 serait-elle déjà jouée ?

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Une affaire d’armes chasse l’autre en ce moment au Gabon. Le 15 novembre, Hervé Patrick Opiangah, le jeune propriétaire d’une société privée de sécurité aux ambitions politiques claironnées, était arrêté avec ses vigiles armés devant le Palais du bord de mer alors qu’ils manifestaient sans autorisation. Quinze jours plus tard, on apprenait l’arrestation et l’inculpation de Marc Saturnin Nan Nguema, une personnalité en vue du monde politique, dans le cadre d’une enquête sur un présumé trafic d’armes de guerre. Ces deux affaires, sans rapport direct, éclairent d’une lumière dérangeante les pratiques « douteuses » de certains opposants. Elles sont surtout du pain bénit pour les partisans du président Omar Bongo Ondimba, à douze mois des élections de décembre 2005.
Fringuant « milliardaire en francs CFA », patron de Vigile Services, une entreprise de gardiennage forte d’un millier d’employés (un chiffre considérable dans un pays dont la population totale n’excède pas 1,2 million d’habitants), Hervé Patrick Opiangah rêvait de créer un parti, l’Union pour la démocratie et l’intégration sociale (Udis). Il avait introduit une demande en ce sens, mais son dossier était resté en souffrance. Espérant mettre la pression sur les autorités, il s’est donc mis en tête d’organiser le 15 novembre un rassemblement de ses partisans devant la présidence. Une provocation, les attroupements étant interdits à cet endroit très « sensible » de la capitale. Circonstance aggravante : des armes ont été retrouvées sur des membres de sa garde rapprochée. Appréhendé sans trop de ménagements, il dort aujourd’hui en prison.
« Il se faisait appeler Aigle rouge, il croyait que la vie était un film américain. Naïvement, il pensait que personne n’oserait rien contre lui, il se voyait intouchable… » Opiangah, qui disposait de quelques protections bien placées, ne manquait pas d’ennemis – peut-être les mêmes, d’ailleurs -, car il avait trempé dans des affaires de chantage au début des années 1990, avant sa reconversion dans le business de la sécurité. Il était très populaire dans les quartiers défavorisés de Libreville, où il s’était forgé une image de bienfaiteur. « Il voulait se servir des pauvres comme d’un tremplin politique, explique le sociologue Anaclé Bissiélo, professeur à l’université Omar-Bongo de Libreville. Tous les partis sont peu ou prou constitués sur le modèle de l’achat des voix, sans réel leadership ni idéologie. Ici, c’est l’argent qui fait la notoriété. »
Les autorités, pas fâchées de voir le trublion franchir la ligne rouge, ont sauté sur l’occasion pour envoyer un message de fermeté à tous les « apprentis Guillaume Soro » (dixit Omar Bongo) de la République. « Je ne veux pas voir de milices se constituer sur notre territoire », a ainsi prévenu le président gabonais, alors qu’il quittait fin novembre le sommet de la Francophonie de Ouagadougou. Il faut dire que la prolifération des armes légères et la porosité des frontières dans une région – l’Afrique centrale – déchirée par les guerres civiles et où le Gabon constitue, avec le Cameroun voisin, l’une des rares oasis de paix, nourrissent les inquiétudes. « Il ne faut pas s’affoler, même s’il convient d’être vigilant, rassure un proche collaborateur du chef de l’État. La stabilité du pays n’est pas menacée. L’affaire Opiangah s’est dégonflée. Dès l’arrestation de leur chef, ses partisans ont disparu des rues. Sans doute parce qu’il n’y avait plus personne pour les payer. Cela dit, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion sur notre démocratie. Nous comptons près de trente partis légaux. Et il y en a autant en attente de légalisation. »
L’affaire Nan Nguema, qui a éclaté une quinzaine de jours plus tard, a relégué au second plan les problèmes judiciaires d’Opiangah. En apparence, l’honorable Marc Saturnin Nan Nguema, 60 ans, se situe aux antipodes de « l’aventurier » Opiangah. Ancien conseiller du président Bongo Ondimba, ancien secrétaire général de l’Opep, l’Organisation des pays producteurs de pétrole, passé à l’opposition à la faveur de l’instauration du multipartisme en 1990, ce Fang du Moyen-Ogooué s’était présenté à la présidentielle de 1993. Même s’il avait recueilli moins de 1 % des voix, c’était une figure respectée de la vie politique. Après avoir créé et animé le PLD, le Parti libéral démocrate (aujourd’hui disparu), il avait, jusqu’à son arrestation pour détention d’armes de guerre, milité dans les rangs du CDJ, le Congrès pour la démocratie et la justice.
Tout est parti d’une banale course-poursuite entre des gendarmes et un chasseur qui braconnait aux alentours de Lambaréné, en possession d’un fusil d’assaut. Les enquêteurs, qui croyaient avoir affaire à un braqueur membre d’un gang criminel, ont remonté la piste, pour finalement se rendre compte que le pourvoyeur n’était autre que le respectable notable de Port-Gentil, chez qui ils ont retrouvé, enfoui dans le jardin, un stock d’armes. Nan Nguema, pour sa défense, a expliqué qu’il s’était procuré ledit stock du temps où il était chef de parti, afin d’assurer sa protection et celle de ses militants, et que la pratique était courante à l’époque (ce qui n’est pas faux). Même si le doute subsiste sur les intentions réelles, il n’en reste pas moins que l’opposition, dans son ensemble, se retrouve éclaboussée. Elle n’en avait pas vraiment besoin.
Pierre Mamboundou, le leader de l’UPG, l’Union du peuple gabonais, est le seul à surnager au sein d’une opposition en pleine déconfiture. Candidat malheureux contre Bongo en 1998, il est le seul à avoir ensuite refusé toute compromission. Mais, pour cette raison, il est devenu un général sans troupes. Le combat pour l’alternance épuisant rapidement les militants quand on n’a pas de contreparties sonnantes et trébuchantes à leur offrir en retour, les défections ont éclairci les rangs de ses partisans. L’UPG vient ainsi de perdre son siège officiel dans la capitale. Le propriétaire du local qui servait d’antenne librevilloise à la formation dirigée depuis Ndendé par Pierre Mamboundou est en effet passé avec armes et bagages dans le camp du pouvoir… La rectitude exemplaire du patron de l’UPG lui vaut une réelle audience et une vraie sympathie auprès de larges secteurs de la population. Mais elle ne suffit pas à faire de lui un challengeur crédible. Face à une machine de guerre électorale aussi efficace que le PDG, le Parti démocratique gabonais (au pouvoir), un homme seul a peu de chances.
L’avocat Pierre-Louis Agondjo Okawe, dirigeant du PGP, le Parti gabonais du Progrès, est l’autre poids lourd résiduel de l’opposition. Lui aussi a jusqu’à présent décliné toutes les offres de participations au gouvernement. Mais, en perte de vitesse dans son fief de Port-Gentil, la frondeuse capitale économique du pays, sa formation a été obligée d’accepter de cogérer la mairie de cette ville avec le PDG. Une alliance obligée qui a quelque peu brouillé son image dans l’opinion et qui n’est pas de tout repos au quotidien.
Figure de proue de l’opposition dans les années 1990, quand il était à la tête du RNB, le Rassemblement national des Bûcherons, Paul Mba Abessole s’est, pour sa part, rallié au pouvoir. Aujourd’hui ministre des Transports et vice-Premier ministre, l’ancien maire de Libreville préside maintenant le RPG, le Rassemblement pour le Gabon, et inscrit son action dans celle de la majorité présidentielle. Mieux, il a annoncé il y a quelques mois son adhésion à la « Charte », l’alliance électorale constituée autour du PDG. Une « charte » dont les statuts font de son « chef naturel », Omar Bongo Ondimba, s’il se présente, le seul candidat à la présidentielle. « Mba Abessole s’est laissé neutraliser, explique Anaclé Bissiélo, car il rêve de la primature. Il aurait pu se transformer, dans l’hypothèse du développement d’une contestation, en une sorte de point de fixation des mécontents. Il a préféré aller à la soupe. En échange de son ralliement, il a demandé à être le directeur de campagne du président, un poste qui, en vertu d’une loi non écrite, fait de son titulaire le Premier ministre une fois la réélection de Bongo Ondimba acquise. Mais celui-ci n’a pris aucun engagement public. Pour Mba, cette affaire à tout d’un marché de dupes. » Mais la levée de boucliers suscitée au sein du PDG par les exigences de l’ancien Bûcheron indique que Mba Abessole n’a vraisemblablement aucune chance de lui succéder. Qui, alors ? « Les jeux restent ouverts », commente, laconique, un proche du chef de l’État.

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