Du malheur d’avoir un fils

Publié le 21 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est un peu le point faible de Kofi Annan, son talon d’Achille. L’affaire dans l’affaire, celle qui le touche le plus et dont se délectent ses ennemis. De son fils, le secrétaire général dit qu’« il est majeur », qu’il est « un homme d’affaires indépendant » et qu’il « ne se mêle pas de ses activités », l’inverse étant naturellement vrai. Il assure que jamais Kojo n’a fait de lobbying auprès de lui et qu’il n’en a jamais reçu un seul dollar, même si, bien sûr, il est arrivé à son fils de lui présenter quelques-uns de ses amis.
Pourtant, après un long silence, Annan confie qu’il a tout de même été « très déçu et surpris » d’apprendre que Kojo ne lui avait pas dit toute la vérité. Et de conclure :
« Comme patron de l’ONU et comme père, ce que je vis en ce moment est difficile. » Bien dans la manière d’un homme dont la pudeur est aussi établie que l’honnêteté, ce demi-aveu est un euphémisme. Rien ne pouvait plus mal tomber que l’implication supposée de Kojo Annan dans le scandale Pétrole contre nourriture
Kojo, 33 ans, et sa sur Ama, 35 ans, sont les deux seuls enfants de Kofi Annan, nés d’un premier mariage avec la Nigériane Titi Alakija, dont il a divorcé en 1981. Tous deux ont été élevés par leur père, remarié en 1984 avec la Suédoise Nane Lagergren, avant de poursuivre leurs études secondaires dans un internat suisse.
Diplômés d’universités britannique et américaine, Kojo et Ama ont ensuite rejoint Lagos, au Nigeria, où vit également leur mère. Ama travaille au sein d’une grande compagnie
maritime, tandis que Kojo intègre, en décembre 1995, l’équipe locale d’une firme suisse spécialisée dans le contrôle des échanges commerciaux : Cotecna Inspection S.A.
Avec ses quatre mille employés, ses cent cinquante bureaux à travers le monde et ses trente ans d’âge, Cotecna est l’une des « majors » du secteur, respectée pour son sérieux. C’est donc tout naturellement que cette société brigue, en 1998, le marché sensible et stratégique du contrôle des importations irakiennes dans le cadre du programme Oil for Food un marché détenu jusque-là par sa concurrente britannique Lloyd’s Register. Alors que la négociation bat son plein, Kojo Annan quitte la Cotecna par
une porte… et y revient par une autre. Il est en effet consultant au sein de la firme Sutton Investments, laquelle travaille pour la Cotecna. De ce second poste, il démissionne début décembre 1998, trois semaines exactement avant que la société suisse signe son contrat avec l’ONU, le 31 décembre.
Annan Jr rejoint alors, avec le titre de directeur, la compagnie de travaux publics et de bâtiment Air Harbors Technology, dont le président est un autre rejeton au patronyme
célèbre, Hani Yamani, fils du cheikh Yamani, l’ancien tout-puissant ministre saoudien du Pétrole. Il y restera jusqu’en juillet 2001. Deux mois plus tard, Air Harbors, via sa
filiale Hazy Investments, fait elle aussi irruption au cur de Pétrole contre nourriture : Hani Yamani signe avec l’Irak un contrat d’exportation de brut dont une partie sera revendue au Maroc de près de 60 millions de dollars.
Il n’en faut pas plus pour que les adversaires de Kofi Annan jugent ces deux coïncidences quelque peu troublantes. Kojo n’a-t-il pas, dans les deux cas, usé de son nom pour aider
ces deux sociétés à obtenir leurs contrats, avant de s’effacer prudemment juste avant leur conclusion ? Le fils Annan, qui vit à Lagos et ne communique que par l’entremise d’un cabinet d’avocats britannique, s’en défend: « Pour des raisons évidentes, dit-il, je me suis toujours interdit de jouer le moindre rôle dans une affaire ayant un quelconque rapport avec l’ONU. » Avant d’ajouter : « De toute façon, les décisions concernant les contrats étaient prises par le Comité 661, pas par le secrétaire général. »
Il n’en demeure pas moins que Kojo Annan donne la désagréable impression de ne pas dire toute la vérité, obligeant par là même son père à réagir au coup par coup. C’est par la presse que Kofi Annan aurait appris, il y a quelques semaines, que son fils avait continué à percevoir des émoluments (2500 dollars par mois) de la Cotecna jusqu’à la fin de février 2004 (soit deux ans après l’expiration de la clause de non-concurrence censée justifier ces versements compensatoires), ainsi que des remboursements de soins médicaux jusqu’en juin. Et qu’il avait bénéficié d’une carte de crédit de cette société pendant au moins un an après l’avoir quittée.
Un déballage pour le moins gênant, qui est au menu de deux enquêtes en cours, celle de la commission Volcker et celle du département américain de la Justice. Adepte du népotisme,
Kofi Annan ? Sans doute pas. Faible à l’égard de l’un de ses enfants ? C’est probable qui ne l’est pas, au demeurant. Mais, dans la position où il se trouve, le secrétaire
général de l’ONU a sans doute dû lui aussi murmurer ce que César, expirant sous les dagues des conjurés, disait à Brutus : « Tu quoque, filii »

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