50 dollars et après…

Le baril a atteint cette année des sommets, ouvrant la voie à une ère où le pétrole sera plus cher, l’offre étant à peine supérieure à la demande. Pour combler ce retard, les investissements vont s’accélérer. Bonne nouvelle pour les pays producteurs.

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Poussée de fièvre ou hausse durable ? Des ministères aux banques, en passant par les institutions internationales et les industriels, la question taraude tous les esprits. Depuis février 2004, le prix du baril de pétrole s’est emballé. En octobre, le brut de référence américain, dit Western Texas Intermediate (WTI), a atteint 56 dollars, alors qu’il avait achevé l’année 2003 aux environs de 30 dollars. Soit une hausse de 87 %. Après avoir décroché d’une dizaine de dollars peu de temps après l’élection présidentielle américaine, il est revenu aux environs de 50 dollars à la mi-décembre. Première explication, les spéculateurs se sont pleinement livrés à leurs coupables manies. À l’approche de l’hiver dans l’hémisphère Nord, dans la perspective d’une surconsommation pour satisfaire les besoins de chauffage, ils ont fait feu de tout bois. La guerre en Irak, des mouvements sociaux au Nigeria, des troubles politiques au Venezuela, une faillite en Russie et même le passage d’un cyclone dans le golfe du Mexique, autant d’incidents survenus dans d’importantes régions de production, autant de prétextes à rumeurs et à un nouvel emballement sur les places boursières. Le tout sur fond de campagne électorale aux États-Unis, d’où les experts ont tiré toutes sortes d’appréciations concernant l’usage que l’un ou l’autre des candidats, une fois élu, ferait des stocks stratégiques américains, ces tonnes de précieux liquide mises de côté afin de compenser une interruption des livraisons.
Mais le malaise est plus profond : la géographie pétrolière de la planète est en plein bouleversement. Le séisme concerne les pays consommateurs. Dans les dix années écoulées, la consommation de pétrole n’a pratiquement pas varié dans le monde occidental, mais elle a considérablement augmenté en Amérique latine (+ 22 %) et, surtout, dans la zone Asie-Pacifique. Dans cette région du monde se confirme l’émergence industrielle de la Chine, dont les besoins en pétrole ont augmenté de 105 % entre 1993 et 2003, ainsi que celle de l’Inde (+ 85 % sur la même période) et de la Corée du Sud (+ 37 %). Conséquence, ces trois pays bousculent le classement des dix premiers clients du pétrole dans le monde (voir infographie), passant notamment devant la France et l’Italie, qui ne consomment pas plus aujourd’hui qu’il y a dix ans. L’empire du Milieu se place en deuxième position, derrière les États-Unis, toujours bons premiers et qui utilisent « seulement » 17 % de pétrole de plus qu’en 1993.
En 2004, une nouvelle secousse a agité le paysage : la demande mondiale en pétrole a augmenté de 3,4 %, sa plus forte hausse depuis vingt-sept ans, tirée en grande partie par la Chine. Le choc avait été, en outre, mal anticipé par les spécialistes. Il y a tout juste un an, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) tablait sur un accroissement de 1,3 %. Soit un supplément de 1 million de barils par jour alors qu’en réalité il en a été consommé 2,7 millions de plus, dont 0,8 million par les seuls industriels chinois. Face à quoi l’industrie pétrolière mondiale a dû porter sa production à 99 % de sa capacité maximale, réussissant à maintenir l’offre à 800 000 barils au-dessus du niveau de la demande sur les neuf premiers mois de l’année. Il suffisait d’un rien pour transformer ce léger surplus en un grave déficit. On connaît la suite.
Les marchés pétroliers vont-ils durablement rester aussi agités ? Telle est la question que se posent aujourd’hui tous les spécialistes. En d’autres termes, à quel prix moyen du baril faut-il s’attendre sur l’année 2005, par exemple pour établir le budget d’un État, donc anticiper l’évolution de la richesse nationale ? Sachant que son rythme de croissance influera lui-même sur les dépenses des ménages, les profits des entreprises, la création d’emplois, l’inflation, les taux d’intérêt, etc. Pour illustrer la difficulté de l’exercice dans les pays occidentaux, où la croissance est de l’ordre de 3 %, il faut savoir qu’un baril à 50 dollars en moyenne sur l’année peut entraîner une baisse de 1 % de cette croissance, diminution limitée à 0,25 %, voire 0,5 %, dans le cas d’un baril à 40 dollars. Évidemment, il y a un grand nombre d’experts et autant de prévisions. Optimiste, l’AIE pronostique un repli vers 30 dollars d’ici à 2006. Mais cet organisme n’avait pas prévu la forte hausse d’octobre 2004. De son côté, l’agence fédérale américaine de l’énergie, l’EIA (Energy Information Administration), estime que les moyennes mensuelles ne devraient pas tomber en dessous de 40 dollars. En France, le ministère de l’Économie a établi son budget 2005 sur la base de 36,50 dollars le baril.
S’il n’y a pas de véritable consensus, les différents scénarios s’orientent généralement à la hausse, ce qui, après tout, ne devrait surprendre personne. La demande et l’offre étaient déjà à des niveaux comparables en 2003 (voir infographie). Si la première augmente, ne serait-ce que raisonnablement, tandis que la seconde peut à peine suivre, la mécanique du marché pousse inéluctablement les prix à la hausse. À moins d’un nouveau séisme, comme l’irruption soudaine et massive d’une nouvelle puissance productrice dans le monde… Peu probable. Il est plus plausible d’admettre la synthèse proposée par la première banque française, le Crédit agricole, dans sa dernière note de conjoncture : un maintien des prix à un niveau élevé pendant la première partie de l’année, « le marché étant alimenté en flux tendus ». Cette phase serait suivie d’une baisse progressive vers les 30 dollars « au fur et à mesure de la mise en service de nouvelles capacités de production ».
Il est vrai que l’emballement de la demande mondiale n’a rien changé, ou presque, du côté des pays producteurs. Les leaders campent sur leurs positions. L’Arabie saoudite détient toujours 23 % des réserves mondiales et assure 13 % de la production ; le Moyen-Orient dans son ensemble possède 63 % du stock d’or noir exploitable dans le monde et en produit le tiers. Le continent africain, si sa production d’ensemble a augmenté de 22 % en dix ans, possède, comme en 1993, 10 % des réserves de la planète, et il est responsable de 11 % de la production mondiale. La montée en puissance de nouveaux pays producteurs comme l’Angola, la Guinée équatoriale ou encore le Soudan, et le retour du Congo, lui ont permis de maintenir ses positions. Pour diverses raisons, l’Afrique est l’une des régions au monde qui a bénéficié d’investissements soutenus de la part des majors de l’industrie pétrolière. Alors que l’Arabie saoudite n’a pas modernisé ses installations depuis vingt ans. Plus généralement, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a peiné à augmenter massivement sa production en 2004, même si elle en affichait la volonté, dans le but de ramener les prix à la raison.
Avec un pétrole à 50 dollars, ou du moins à des niveaux plus élevés que durant la dernière décennie, nombre de producteurs vont pouvoir redynamiser leurs capacités de production. Telle est d’ailleurs la décision de Riyad, qui annonçait fin novembre un vaste plan d’investissement destiné à porter sa capacité de production à 15 millions de barils par jour à terme, contre 11 millions actuellement. Ce faisant, le royaume avouait indirectement qu’il ne disposait plus de la même puissance de feu qu’autrefois. Au moment de l’invasion du Koweït par l’Irak, en 1990, quelques mois lui avaient suffi pour passer de 5 millions de barils par jour à 8,5 millions. Les poids lourds de l’Opep devraient suivre son exemple à condition, prévient Sadek Boussena, ancien ministre algérien de l’Énergie, aujourd’hui consultant indépendant fréquemment cité dans les milieux spécialisés, « qu’ils ne soient pas les seuls à prendre en charge ces investissements, au risque que les nouvelles capacités deviennent excédentaires et que les prix baissent ». Une façon de dire que l’industrie pétrolière elle-même, tant pays producteurs qu’industriels, apprécie pleinement que le prix du baril ait quitté la fourchette de 20 à 30 dollars dans laquelle il se complaisait depuis 1986. Qui, d’ailleurs, en doutait ?

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