Dioula de service ?

Président de l’Assemblée nationale, homme de confiance du chef de l’État, Mamadou Koulibaly incarne l’aile dure du régime. Portrait.

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Sa voix faible, à peine audible, fait croire à un personnage timide. Ses traits plutôt fins le font passer pour un être doux. Fausse impression. Mamadou Koulibaly n’est ni l’un ni l’autre. Le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire depuis janvier 2001 est l’un des « durs » du régime de Laurent Gbagbo. L’opposition au pouvoir d’Abidjan redoute ses invectives. Les Dioulas, originaires du nord du pays, auxquels il appartient, craignent ses prises de position. La France, impliquée dans la crise, le classe dans la frange la plus extrémiste du camp présidentiel.
Crocodile d’une espèce particulière dans le marigot politique ivoirien, Koulibaly est un personnage à facettes multiples. Dioula (comme la plupart des Ivoiriens appellent leurs compatriotes aux patronymes musulmans), nordiste, musulman, il est au coeur du pouvoir de Gbagbo, un Bété de l’Ouest chrétien. Agrégé d’économie, il parle comme un militant de base et enchaîne les sorties qui font froid dans le dos. Comme le 7 novembre. Réagissant à la destruction de l’aviation de l’armée ivoirienne par la force française Licorne, il promet ce jour-là « pire que le Vietnam » à la France, et des représailles « hyperbarbares » à ses ressortissants.
Une position radicale qui conforte nombre de ses compatriotes dans l’opinion qu’ils se font de cet universitaire que nul n’aurait attendu sous les traits d’un sicaire. Mamadou Koulibaly est né en 1957 à Azadié, à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Abidjan, d’un père sénoufo de Korhogo et d’une mère malinkée de Boundiali. Il est élevé suivant les préceptes de l’islam, sous la férule de son oncle paternel, maître d’une école coranique. Il en gardera une pratique assidue de la religion, qui le conduira en pèlerinage à La Mecque en 2002.
D’extraction modeste, il fait un brillant cursus scolaire en Côte d’Ivoire, avant de décrocher un doctorat d’économie en 1985 à l’université d’Aix-Marseille-III, en France. En 1987, alors qu’il commence à enseigner les sciences économiques à l’université de Cocody (Abidjan), il rencontre dans une librairie de Bouaké celle qui deviendra sa femme : Limata Amoussa, née en 1960 à Bobo-Dioulasso (au Burkina Faso) d’une mère ivoirienne d’origine burkinabè et d’un père béninois, musulman yorouba de Porto-Novo. Cette enseignante de français lui donnera trois filles : Wahidat, Mika et Flany.
Le virus de la politique le pique en 1992, au contact de son collègue Laurent Gbagbo. Il adhère la même année au Front populaire ivoirien (FPI). Le jeune professeur se fait déjà remarquer au début des années 1990, quand il qualifie la stratégie de redressement économique du Premier ministre Alassane Dramane Ouattara (appelé à la rescousse par Houphouët-Boigny) de « plagiat du plan mis en oeuvre en Égypte au début des années 1950 ».
Après une parenthèse, de 1994 à 1997, consacrée à l’enseignement de la macroéconomie en France (à Lille-I notamment), au Burkina, au Sénégal, et au Togo, Koulibaly revient à l’université de Cocody et devient, lors du congrès du FPI en juillet 1999, secrétaire national du parti, chargé de l’économie, des finances et des secteurs stratégiques.
Incontrôlable, il fera de nouveau parler de lui, au lendemain du coup d’État du 24 décembre 1999 du général Robert Gueï. Détenteur le 13 janvier 2000 du maroquin du Budget (dans le quota du FPI au sein du gouvernement de transition), Koulibaly cohabite difficilement et pourfend ouvertement les choix de son ministre de tutelle, celui de l’Économie et des Finances, issu du Rassemblement des républicains (RDR, d’Alassane Ouattara), N’Golo Coulibaly, du portefeuille duquel il finira par hériter en mai 2000. À ce poste, il entretient des rapports conflictuels avec le FMI et la Banque mondiale, auxquels il « oppose [ses] réserves d’économiste sur le modèle de redressement préconisé pour la Côte d’Ivoire ».
Il reste l’argentier du pays après l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, en octobre 2000, jusqu’à ce que ce que son retentissant plaidoyer en faveur d’un « franc CFA flottant » sème la panique chez les investisseurs et les épargnants et précipite son départ du gouvernement. Élu député de Koumassi, l’une des dix communes d’Abidjan, il atterrit au perchoir de l’Assemblée nationale en janvier 2001, devenant ainsi, à 44 ans, le plus jeune président de l’Assemblée nationale de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Mais peut-être pas celui qui a le plus froid aux yeux. Il le montre en janvier 2003, en claquant la porte des négociations de paix qui réunissent les acteurs de la crise ivoirienne, à Linas-Marcoussis. Depuis, il symbolise, avec Simone Gbagbo, « l’aile dure » du pouvoir ivoirien.
Proche de la première dame, dont il reconnaît partager « les points de vue sur la stratégie de défense de la patrie », Koulibaly est on ne peut plus controversé. Comme mû par la foi du converti, il passe pour être plus royaliste que le roi, « plus bété que les Bétés », dirait l’Ivoirien lambda. Pour donner le maximum de gages de fidélité ? Ou pour compenser un déficit de légitimité par rapport aux « historiques » du FPI qui ont connu clandestinité et brimades de tous ordres ?
Dans les milieux universitaires, il apparaît comme un « agrégé iconoclaste », atteint du syndrome de premier de la classe, en clair persuadé d’être le meilleur, animé d’un désir atavique de contester, de frapper son entourage par ses positions peu communes. Aux yeux de ses « frères du Nord », il est dépeint comme un faire-valoir excessif, qui a besoin de faire dans la surenchère pour être légitime dans un pouvoir qui le perçoit comme un intrus. « Je ne me reconnais pas dans le concept de la « famille du Nord », rétorque-t-il. Devrais-je militer au RDR simplement parce que je suis dioula ? Je réprouve cette façon tribaliste de faire de la politique. » Mamadou Koulibaly assume son image : « Je suis perçu comme un paria, celui qui humilie la famille. Des gens comme Idriss Koudous, le président du Conseil national islamique (CNI), me détestent, mais cela ne m’empêche pas de dormir. »
S’il y a une personne qui souffre de cette situation (en l’absence de sa mère, aujourd’hui décédée), c’est bien son père, Bakary Koulibaly, indexé par les notabilités dioulas du pays, critiqué pour ne pas avoir « inculqué le sens de la famille à son enfant ». Ses voisins jubilent autour de sa concession, à Azadié, chaque fois que le pouvoir de Laurent Gbagbo traverse une mauvaise passe. Mamadou Koulibaly vit cette adversité comme une servitude liée à son engagement aux côtés de son « ami » Gbagbo.
Logé à proximité de la résidence présidentielle de Cocody, il voit le chef de l’État plusieurs fois par jour et est associé à toutes les décisions importantes. Son épouse, Limata, très liée à Simone Gbagbo, monte au créneau, rassure les étrangers, notamment burkinabè, après chaque sortie va-t-en-guerre de son époux.
La tâche de Koulibaly dans le dispositif Gbagbo évolue au gré des épisodes de la crise. Longtemps en charge de « la parole libre » en dehors des sphères de pourparlers, il est de plus en plus associé au dialogue de paix. Après avoir négocié avec le général Poncet, le 8 novembre, le retrait des chars français du parking de l’hôtel Ivoire, il a ainsi représenté Gbagbo au sommet des chefs d’État d’Abuja sur la Côte d’Ivoire, le 14 novembre. Intransigeant sur sa requête de condamnation de la France, l’émissaire du numéro un ivoirien n’a pu échapper à un isolement et à une mise au point du président sénégalais Abdoulaye Wade. Avant d’être poliment prié par le chef de l’État nigérian, Olusegun Obasanjo, de se retirer du conclave, et d’attendre d’être appelé pour des éclairages en cas de besoin.
Réputé imperméable aux arguments de son interlocuteur, Koulibaly refuse l’étiquette de dur qui lui colle obstinément à la peau. « Je n’ai jamais tué ni torturé comme les rebelles, se défend-il. Si être extrémiste veut dire ne pas faire dans la demi-mesure, je suis prêt à l’être. Si je le suis comme le général de Gaulle l’était aux yeux du maréchal Pétain, je l’accepte. » Mais l’est-il ainsi ? Le fils de Bakary Koulibaly se voit en tout cas participer à une oeuvre historique : recouvrer la liberté totale de son pays. Chantre de « l’achèvement de l’indépendance de la Côte d’Ivoire », devenu le credo du pouvoir d’Abidjan, il milite activement pour « le passage d’une économie colonisée par la France à une économie ouverte ».
L’auteur du court brûlot La Guerre de la France contre la Côte d’Ivoire (paru en mai 2003) plaide pour « la fin du contrôle monétaire et financier de nos économies par le Trésor public français » et pour « la renégociation de l’ancien contrat colonial ».

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