Bush vers de nouvelles aventures impériales ?

À la veille d’un second mandat républicain, néoconservateurs et conservateurs traditionnels fourbissent leurs armes. Sans grand espoir de voir s’améliorer les relations entre les États-Unis et le monde arabe.

Publié le 20 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Quelle sera la politique étrangère du président George W. Bush pendant son second mandat ? La question est pour l’instant sans réponse et elle le restera tant que le conflit qui oppose à l’intérieur de l’administration les néoconservateurs aux conservateurs traditionnels ne sera pas réglé d’une manière ou d’une autre, au cours des mois à venir. Les deux camps fourbissent leurs armes et leurs arguments dans la presse, les think-tanks, les salons de Washington et lors de débats au sein des grandes agences du gouvernement.
Au département d’État, au Conseil de sécurité nationale et à la CIA, on se dispute les postes clés. Les choix qui seront faits donneront des indications sur les orientations futures de la politique américaine, en particulier dans la région la plus contestée, au Moyen-Orient. La conseillère la plus proche de Bush pour la politique étrangère, Condoleezza Rice, sera le nouveau secrétaire d’État, mais personne ne connaît sa position sur les problèmes du Moyen-Orient, ou ses idées personnelles, si elle en a. Le bruit court à Washington qu’elle pourrait confier le bureau du Proche-Orient à Eliott Abrams. Il a travaillé sous ses ordres au Conseil de sécurité nationale comme directeur des affaires du Moyen-Orient, et chacun sait que c’est un partisan passionné d’Israël et un adversaire inconditionnel des aspirations palestiniennes. S’il devait retrouver Condoleezza Rice au département d’État, c’en serait presque certainement fini de l’espoir d’une politique américaine plus équilibrée.
On aurait pu penser que les likoudniks néoconservateurs qui ont entraîné les États-Unis dans une guerre désastreuse en Irak adopteraient à présent un profil bas dans l’espoir de se faire pardonner. Tout au contraire, ils se lancent dans une fuite en avant et « en remettent » dans l’agressivité, manifestement convaincus que la meilleure défense c’est l’attaque. Ils soutiennent impudemment que la « croisade » contre « l’islamofascisme » – c’est le mot qu’ils ont trouvé pour désigner les adversaires musulmans de l’Amérique – doit se poursuivre. Hésiter, disent-ils, c’est risquer la défaite.
Colin Powell, le secrétaire d’État sortant, était le conservateur traditionnel le plus en vue de la première administration Bush. Son départ est jusqu’ici la plus grande victoire des néocons. L’autre semaine, le forum organisé au Maroc sur le « Grand Moyen-Orient » a été l’occasion de son chant du cygne. « Tout le monde est d’accord, a-t-il déclaré, sur le fait que le changement dans le monde arabo-musulman doit venir de l’intérieur. Pour vaincre les terroristes, l’Occident doit s’attaquer aux causes du désespoir et de la frustration que les extrémistes exploitent pour arriver à leurs fins. » Un tel langage est exactement à l’opposé de la philosophie néoconservatrice, qui peut se résumer dans la formule « la démocratie par la conquête ». Le changement, soutiennent les néocons, doit être imposé aux Arabes de l’extérieur, au besoin par la force. La « préemption » militaire doit rester une option. On peut sans risque faire l’impasse sur la frustration arabo-musulmane à propos du conflit arabo-israélien. L’antiaméricanisme n’est qu’une bulle qui éclatera lorsque les ennemis de l’Amérique auront été écrasés.
Douglas Feith et William Kristol sont les deux figures de proue des néocons : chacun, à sa manière, illustre la pensée du groupe. Feith est le sous-secrétaire à la politique du département de la Défense, le numéro trois de la hiérarchie du Pentagone, juste en dessous de son ami Paul Wolfowitz. Beaucoup considèrent que c’est lui qui a fabriqué et manipulé les renseignements qui ont entraîné l’Amérique dans la guerre. Et pourtant, contre toute attente, il devrait rester en fonction dans la nouvelle administration Bush.
Dans une interview exclusive publiée par le Jerusalem Post du 12 décembre, Feith, présenté comme « un ami fidèle d’Israël », laissait entendre qu’une intervention militaire contre les sites nucléaires de l’Iran n’était pas exclue si l’Iran ne suivait pas l’exemple de la Libye et ne renonçait pas à son programme nucléaire. « Je ne pense pas qu’il faille prévoir ou écarter quoi que ce soit », disait-il. Il indiquait que la réforme démocratique du monde arabe – y compris pour des alliés des États-Unis comme l’Égypte, l’Arabie saoudite et la Jordanie – serait la pierre angulaire de la politique étrangère de Bush dans les quatre prochaines années.
William Kristol, n’étant pas membre du gouvernement, peut se permettre d’être encore plus brutal. C’est « l’Oussama Ben Laden » de la presse américaine : il appelle constamment à un djihad contre le monde arabe et l’Iran. Il ne croit ni au dialogue, ni à la diplomatie, ni aux demi-mesures. Il ne pratique que l’incitation ouverte à la violence. Directeur du Weekly Standard, l’organe des néocons, il a fait obstinément campagne pour le renversement de Saddam Hussein. Il veut maintenant que les États-Unis attaquent les autres pays de la région, la Syrie en tête. Dans un article à paraître le 20 décembre, mais déjà disponible sur Internet, il se déchaîne : « La Syrie est un régime hostile… Nous avons parlé gentiment… Nous avons haussé le ton… Parler n’a servi à rien. Il faut maintenant passer aux actes, punir et mettre à genoux le régime d’Assad. » Que recommande-t-il ? « Nous pourrions bombarder des installations syriennes. Nous pourrions passer la frontière en force pour stopper les infiltrations. Nous pourrions occuper la ville d’Abou Kamal, dans l’est de la Syrie… qui semble être la base de départ des activités syriennes en Irak. Nous pourrions aider clandestinement et soutenir ouvertement l’opposition syrienne. » Kristol conclut son article sur un ton sans réplique : « Il est grand temps de s’occuper de la Syrie si nous voulons gagner la partie en Irak et dans l’ensemble du Moyen-Orient. »
Ces propos péremptoires, où l’on emploie royalement le « nous » en prétendant parler au nom du peuple américain, sont typiques du discours irresponsable que l’on tient dans plusieurs think-tanks de droite, à Washington. Manifestement, ce n’est pas la meilleure manière d’améliorer les relations entre les États-Unis et le monde arabe, mais telle n’est pas l’intention des néocons. Bien au contraire, l’objectif de ces derniers est de couper les ponts avec les Arabes, dans l’espoir que cela servira les intérêts d’Israël en consolidant sa position d’allié numéro un de l’Amérique.
Le président Bush a été soumis à une pression insistante de la part du Premier ministre britannique Tony Blair, mais aussi d’autres dirigeants européens et d’Arabes modérés, pour qu’il accorde une plus grande attention au conflit israélo-palestinien au cours de son second mandat. La semaine dernière, à Washington, le ministre des Affaires étrangères français Michel Barnier a réaffirmé que si l’on voulait apaiser les divergences transatlantiques et vaincre le terrorisme, il fallait régler le problème israélo-palestinien. Le président pakistanais Pervez Musharraf avait fait passer le même message à Bush les jours précédents.
Celui-ci a-t-il écouté ? Il a exprimé son souhait de voir se constituer un État palestinien démocratique dans les années à venir, mais il n’a pas donné suite aux suggestions d’organiser une conférence internationale ou de nommer un envoyé spécial disposant d’un solide soutien présidentiel qui pourrait faire progresser le processus de paix.
Il n’y a pour l’instant aucun signe que Bush ait l’intention de passer de la parole aux actes ou d’exercer la moindre pression sur le Premier ministre israélien Ariel Sharon. Le fait qu’il ait gardé des néocons à des postes clés dans son administration donne à penser qu’il n’a pas vraiment envie de s’attaquer à l’un des conflits les plus insolubles de notre temps.
Par-dessus tout, il n’est peut-être pas convaincu qu’il y ait un lien organique – un phénomène de cause à effet – entre la politique de l’Amérique au Moyen-Orient et l’hostilité que lui témoigne le monde arabo-islamique. La ligne néocon est que ce lien n’existe pas. Vis-à-vis de l’Iran, les États-Unis sont d’une intransigeance absolue. Ils viennent de s’opposer pour la vingtième fois à l’entrée d’un observateur iranien à l’Organisation mondiale du commerce et sont profondément sceptiques face aux efforts diplomatiques déployés par les Européens pour persuader l’Iran de renoncer à son programme d’armes nucléaires en échange d’avantages commerciaux, technologiques et politiques.
En Irak, les massacres continuent et continueront probablement après les élections du 30 janvier. Personne ne peut prévoir comment se présentera le paysage politique irakien après les élections, sauf qu’il est vraisemblable que pour la première fois depuis des siècles les chiites auront majorité dans le futur gouvernement irakien. Les États-Unis n’ont manifesté aucune intention de retirer leurs troupes dans un proche avenir ou de renoncer à leur ambition de garder une présence militaire dans ce malheureux pays.

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