Ahmed Othmani, du communisme aux droits de l’homme
Le mouvement mondial de défense des droits de l’homme vient de perdre l’une de ses figures
les plus attachantes en la personne d’Ahmed Othmani. Venu au Maroc pour participer au
« Forum de la société civile » organisé, les 8 et 9 décembre, en marge du Forum de l’avenir, il a été renversé par un véhicule à quelques pas de son hôtel, puis transféré à l’hôpital Ibn-Sina, à Rabat, où il est mort le 8 décembre. Il a été inhumé trois jours plus tard à Meknassi, son village natal dans le Sud tunisien.
Dans les années 1960, ce descendant d’une tribu semi-nomade s’était converti au communisme. Leader du mouvement étudiant et de l’extrême gauche, membre du Groupe d’études et d’action socialiste en Tunisie (plus connu sous le nom de sa revue, Perspectives, qu’il rejoignit en 1965, à 22 ans), Othmani avait été arrêté, sauvagement torturé. Condamné, il sera emprisonné à plusieurs reprises entre décembre 1968 et août 1979. En 1967, traqué par la police politique, il avait été caché pendant plusieurs
semaines par le philosophe français Michel Foucault, qui enseignait à l’époque en Tunisie.
Premier prisonnier d’opinion adopté par la section française d’Amnesty International, dès 1971, Othmani a passé plus de dix ans au bagne de Borj Erroumi, près de Bizerte, dont une longue période en isolement. À sa sortie, en 1979, il retrouve Simone, son épouse, juive
tunisienne et militante de gauche, qui avait été arrêtée et condamnée, avant d’être expulsée vers la France par l’ex-président Habib Bourguiba.
Parvenu en France par des voies clandestines, le premier écrit carcéral d’Othmani, Répression en Tunisie. Témoignage de l’intérieur de la prison, sera publié, en avril 1979, par Les Temps modernes de Jean-Paul Sartre. « Pour ceux de ma génération, il était avant tout l’homme qui n’a pas parlé sous la torture », écrit l’universitaire Hichem Abdessmad dans un hommage diffusé, le 11 décembre, sur le site d’information www.tunisnews.com. « J’ai acquis une certaine capacité à résister à la douleur, en apprenant à perdre toute espèce de sensation physique. Je ne ressentais plus rien en voyant mon propre sang couler », raconte Othmani dans un livre-testament, Sortir de la prison: un combat pour réformer les systèmes carcéraux dans le monde, corédigé avec Sophie Bessis et préfacé par Robert Badinter (éditions La Découverte, 2002).
À sa sortie de prison, Othmani se tient à l’écart des joutes politiques et adhère à Amnesty International, au sein de laquelle il poursuit son combat pour la libération des détenus politiques et la liberté d’expression. Il devient bientôt le premier militant arabe à rejoindre le secrétariat de l’organisation, à Londres, où il est plus
spécialement chargé du Maghreb et du Moyen-Orient.
En 1989, il fonde avec la Britannique Vivien Stern l’Organisation internationale de la réforme pénale (Penal Reform International, PRI), dont il assumera la présidence jusqu’à sa mort. Il s’est en effet rendu compte que le mouvement de défense des droits de l’homme se préoccupe presque exclusivement des prisonniers d’opinion, alors que la majorité des détenus sont des « droits commun », c’est-à-dire « des êtres humains qui méritent aussi d’être pris en compte ». Convaincu que la dignité humaine n’a de sens que si elle est défendue en tous lieux et en toutes circonstances, Othmani assigne à son organisation un objectif majeur : faire respecter le droit des gens dans l’application des politiques pénales, dans le monde entier.
En quelques années, la PRI devient une ONG d’envergure internationale, active dans plusieurs pays. L’état des prisons étant, comme disait Othmani, « un bon indicateur de la santé et du degré de civilisation d’une nation », les experts du PRI s’efforcent patiemment, loin des feux de la rampe, de faire évoluer la situation des prisons et les politiques pénales au Rwanda, au Zimbabwe, au Malawi, en Éthiopie, au Pakistan, mais aussi dans certains pays des Caraïbes, d’Amérique latine et d’Europe centrale et orientale.
« Avant nombre d’entre nous, engagés de longue date dans la lutte contre les injustices et contre l’impérialisme, il a compris que la lutte sans concession pour la défense des droits de l’homme peut être bien autre chose que le fade droit-de-l’hommisme instrumentalisé par les États et les intellectuels à la mode: un levier décisif dans le combat pour l’émancipation et la démocratie authentique », écrit François Gèze, directeur des éditions La Découverte. Bel hommage.
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