[Tribune] Condamnation du journaliste Ignace Sossou au Bénin : « fake news », mutisme et coup de massue
La condamnation pour « harcèlement » du journaliste béninois Ignace Sossou pour une série de tweets portant sur l’intervention du procureur de la République lors d’un débat sur les « fake news » organisé par Canal France International (CFI) provoque l’indignation d’une partie de la société civile béninoise. Et soulève plusieurs questions que pointe son confrère Deo Gratias Kindoho.
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Deo Gratias Kindoho
Journaliste à l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin, engagé en faveur de la promotion de la liberté de la presse.
Publié le 6 janvier 2020 Lecture : 3 minutes.
Le 19 décembre, le journaliste béninois Ignace Sossou, collaborateur du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), est arrêté chez lui par la police républicaine. Après quatre jours de garde à vue et une perquisition à son domicile, il comparaît lors d’un procès éclair puis est condamné à 18 mois de prison ferme. Son avocat affirmera n’avoir pas eu le temps nécessaire à la préparation de sa défense.
« Harcèlement », disent-ils. Pas « diffamation »
La veille de son arrestation, le journaliste avait posté sur les réseaux sociaux des propos attribués au procureur de la République Mario Metonou, intervenant lors d’un forum organisé à Cotonou par Canal France International (CFI) – l’opérateur de la coopération médias française à destination des pays d’Afrique – pour débattre des « fake news ». Les propos relayés semblaient assez critiques de l’attitude du pouvoir béninois vis-à-vis de la liberté d’expression.
C’est avec ces quelques tweets qu’Ignace Sossou se retrouve alors dans le viseur du Procureur. Ce dernier accuse le journaliste d’avoir sorti ses propos de leur contexte et lui enjoint, épaulé par les équipes de CFI, de supprimer ces publications que ses yeux ne sauraient voir. Ignace Sossou refuse. La suite est désormais de triste notoriété. Ignace Sossou a été jugé coupable de « harcèlement par le biais d’une communication électronique », délit instauré dans le Code du numérique, aberration concoctée par le parlement. « Harcèlement », disent-ils. Pas « diffamation ».
Condamner Ignace Sossou pour harcèlement suppose qu’il est coutumier des publications incriminées à l’égard de son accusateur. Or, il n’y a pas d’antécédent connu de cette nature entre les deux protagonistes.
Par ailleurs, que le journaliste n’ait pas été assigné en diffamation est une preuve que les propos tels que tweets ne souffrent de nul relais mensonger. Tout le monde semble s’accorder sur ce détail de taille. Se plaindre devant un juge au motif que des propos ont été sortis de leur contexte paraît une accusation bien frivole.
Au demeurant, nous disposons, au Bénin, de l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias, qualifié et rôdé pour recevoir ce genre de plainte et le traiter convenablement.
Mutisme et coup de massue
À l’aune de cette condamnation, il est désormais probable que des décideurs décrètent formellement que des journalistes ou des citoyens soient purement et simplement interdits de rapporter, même partiellement, des déclarations entendues en public, au risque d’être poursuivis par leur auteur pour harcèlement. On les accusera de ne pas avoir respecté l’esprit du contexte. Insensé.
Le mutisme total des participants au forum, qui n’ont pas entrepris de mettre à la disposition de l’opinion leur version de l’histoire durant plusieurs jours après le verdict, est tout aussi insensé. Aucun audio du fameux forum n’a par ailleurs été disponible. Nous avions espéré l’arbitrage de CFI, qui aurait dû tout enregistré, en principe. Ici aussi, motus et bouche cousue.
Pourtant, dès le différend révélé, le directeur Afrique de CFI s’est empressé d’adresser un courrier privé aux autorités judiciaires du Bénin. Un message dans lequel il a soigné l’image de Mario Metonou et dépeint Ignace Sossou en mots porteurs de déshonneur, alors que l’organisme dit œuvrer à l’épanouissement des acteurs des médias.
Finalement, c’est CFI qui, avec ce courrier, a asséné le premier coup de massue à Ignace Sossou. Au moment de son arrestation, fustigée par le même CFI, la lettre à charge circulait déjà sur les réseaux sociaux depuis peu, comme pour conditionner l’opinion en défaveur du journaliste pointé du doigt. Le contenu de ce courrier et la qualité de son expéditeur ont été ensuite exploités contre l’accusé devant le tribunal, le 24 décembre.
Il faudra attendre le 2 janvier pour que CFI décide de reprendre la parole. Sur son site internet, l’opérateur a transcrit des passages de l’intervention du procureur d’où Ignace Sossou a tiré ses tweets. Une transcription tronquée, au détriment de mon confrère, à qui CFI parvient encore à reprocher d’avoir commis une faute professionnelle en relayant des « propos incomplets ».
Pendant ce temps, l’institution regrette les « formulations maladroites » de la lettre de son directeur Afrique ainsi que l’usage qu’en ont fait ses destinataires au ministère béninois de la Justice. Et il lui a fallu deux semaines pour en prendre conscience. Cherchez l’erreur…
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