[Tribune] Franc CFA-eco : les critères de convergence ne sont pas une fin en soi
L’adoption de l’eco sur le seul respect des critères de convergence risque de repousser dans le temps sa mise en place. Le compromis en matière de politiques macroéconomiques et budgétaires, et le risque de perte de mainmise des gouvernements de la zone Cedeao sur celles-ci, appellent un travail politique de longue haleine.
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Gilles Dufrénot
Professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille, ancien conseiller technique à la Commission de l’UEMOA et chercheur au CEPII.
Publié le 7 janvier 2020 Lecture : 4 minutes.
L’eco, future monnaie unique des pays de la Cedeao, verra donc le jour dès 2020, si l’on en croit les déclarations récentes des chefs d’États de l’Uemoa, et vu la volonté affichée des autorités ghanéennes de les rejoindre au plus vite. De toute évidence, sa mise en place se fera selon des modalités différentes de celles envisagées dans le projet initial.
Sa viabilité sur la durée dépendra de plusieurs facteurs, qui ne sont pas nécessairement ceux auxquels on fait habituellement référence.
Jusqu’à présent, une idée largement diffusée est que la convergence macro-budgétaire est un préalable à la viabilité de la future zone monétaire. Or, cette hypothèse est critiquable. Elle n’a aucun fondement économique, pour trois raisons au moins.
Dans la zone euro, le maintien de la monnaie unique a été une décision politique
La première est que la création d’une zone monétaire est d’abord la conséquence d’un compromis politique et de décisions collégiales engageant des gouvernements à veiller mutuellement à ce que leurs politiques macro-budgétaires ne divergent pas trop. La zone euro est un exemple.
Sur la durée, une fois l’euro adopté, les critères de convergence n’ont pas toujours été respectés, y compris par les grands pays de la zone tels que la France ou l’Allemagne. Ils ont même été assouplis lors de révisions du Pacte de Stabilité. Et, lors de la violente crise des dettes publiques de 2010, le maintien de la monnaie unique a été une décision politique, alors même qu’elle ne semblait plus viable au regard des fortes divergences macroéconomiques et structurelles des pays.
Repousser indéfiniment la mise en place de l’eco
La seconde raison est que le choix politique d’adopter une monnaie unique, y compris dans le cas où les pays ne respectent pas tous les critères macro-budgétaires, peut être le déclencheur de forces endogènes réduisant progressivement l’hétérogénéité macroéconomique et structurelle entre pays. L’élimination du risque de change peut aider à stimuler le commerce régional.
L’atténuation de la volatilité des taux de change peut favoriser l’émergence d’une grande zone financière (par la fusion des marchés boursiers et une accentuation des flux transfrontaliers bancaires) et attirer davantage d’investissements dans la zone Cedeao. Cette manne financière apparaît indispensable dans un contexte où les gouvernements cherchent à changer de modèle de croissance en se désengageant des stratégies fondées sur l’endettement auprès des organisations financières internationales.
La troisième raison est que l’adoption de la monnaie unique, ex-ante, lie les mains des gouvernements pour faire converger leurs politiques budgétaires. Les pays de la zone Uemoa ont une longue expérience de l’exercice de surveillance multilatérale. Et les pays de la ZMAO se sont également doté d’un tel cadre. Mais, la convergence budgétaire peut être contrecarrée par des divergences structurelles persistantes qui existent, indépendamment de la gouvernance des budgétaires des États. Fonder l’adoption future de l’eco sur le seul respect des critères de convergence peut donc demander beaucoup de temps, voire conduire à repousser ad infinitum la mise en place de la monnaie unique.
La question importante est donc la suivante. Quels mécanismes mettre en place pour s’assurer de la viabilité de la future monnaie unique, dans un contexte où les économies présenteront, nécessairement, des divergences macro-structurelles ?
Maintenir le cadre actuel de la surveillance multilatérale avec des cibles macro-budgétaires est nécessaire. Mais non suffisant. Les deux autres questions à aborder concernent, à la fois le choix d’un régime de change et l’adoption d’un régime monétaire adapté à la diversité d’économies vulnérables à des chocs de natures différentes.
Sur le premier point, un régime de change flottant peut convenir pour absorber les chocs internationaux et domestiques. Il aurait l’avantage de protéger les économies contre des attaques spéculatives de la part de marchés souhaitant « tester » la résistance de la nouvelle monnaie créée.
Les pays de la Cedeao ont de la latitude pour s’entendre sur le type de flottement susceptible de leur convenir : flottement pur ou bien dirigé (autorisant des interventions sur le marché des changes). S’ils ne souhaitent pas ancrer leur monnaie à une seule monnaie internationale, une alternative existe : ancrage sur un panier de monnaies, éventuellement ajustable pour garder de la souplesse.
Mais une crédibilité vis-à-vis des marchés internationaux ne sera pas possible sans la mise en place d’un cadre macro-budgétaire permettant d’atteindre des cibles réalistes et adaptées à la situation d’économies en développement (plutôt que des cibles théoriques difficiles à respecter).
les pays de la Cedeao sont vulnérables à des chocs de natures différentes
Sur le second point, les pays devront d’abord s’accorder sur ce qui importe le plus pour la zone Cedeao : au-delà de la stabilité des prix, devront-ils cibler la croissance potentielle (de moyen/long terme) ? Prêter une attention à la valeur des dettes libellées en monnaies étrangères ? Privilégier la profitabilité de leurs entreprises ? Choisir de cibler le taux de change, ou plutôt un agrégat monétaire ou de crédit afin de financer le développement ?
Ces questions montrent que de tels choix reposeront largement sur des compromis politiques, car les pays de la Cedeao sont vulnérables à des chocs de natures différentes compte tenu de la structure des économies, des différences de situations géographiques (pays enclavés ou non), des degrés d’intégration financière et commerciale différents.
S’il existe aujourd’hui une incertitude sur la faisabilité de la future monnaie eco, elle est surtout de nature politique. Sa réussite dépendra de la capacité des gouvernements à construire, ensemble, des compromis sur toutes ces questions. Les points de vue du Ghana et du Nigeria apparaissent essentiels dans les discussions, compte tenu de leur poids économique régional. Leurs expériences de la politique monétaire seront tout aussi utiles que celles des pays de la zone Uemoa.
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