Quand tout est permis

Publié le 20 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Le temps serait-il enfin venu pour les Français de traiter « normalement » de la guerre d’Algérie sur le grand écran ? Normalement, c’est-à-dire avec une salutaire distance et un réel souci d’honnêteté. Sans occulter les aspects les plus sombres de l’action de l’armée et de l’administration coloniales mais sans pour autant adopter une trop commode posture morale devant ce qui fut assurément à la fois une sale guerre et une guerre sale ? Il y eut certes quelques tournages plus ou moins réussis au cours de la décennie suivant l’indépendance. Mais après tant d’années sans aucune production de quelque envergure à ce sujet, alors qu’on désespérait de voir des cinéastes français relever le défi, à l’instar des Américains évoquant souvent avec talent et sans tabou la guerre du Vietnam, on ne peut que saluer la sortie en l’espace de quelques mois de deux films de fiction plutôt réussis, tournés tous deux en Algérie, qui n’ont pas craint d’affronter en face la réalité des faits tels qu’ils sont désormais bien établis.
Dans La Trahison, qui a bénéficié d’un succès d’estime au début de cette année, Philippe Faucon a raconté avec tact, en s’appuyant sur le récit authentique d’un militaire français, un épisode éclairant de la guerre d’indépendance. Quatre conscrits musulmans incorporés sans qu’ils l’aient voulu dans l’armée française au beau milieu de la guerre se préparent à déserter. Ils s’apprêtent à rejoindre le FLN au grand dam de leur supérieur, un sous-officier « européen » qui croyait avoir établi des rapports tels avec ces jeunes appelés que leur « trahison » n’était pas envisageable. Dans ce long-métrage sobre et subtil est évoquée au cours d’une scène, sans insister, la pratique des interrogatoires à l’électricité – avec la fameuse « gégène » – par les soldats français. Les questions que pose cet emploi systématique de la torture par l’armée française constituent le thème central de Mon colonel, réalisé par Laurent Herbiet sur un scénario de Costa-Gavras, qui vient de sortir dans l’Hexagone.
Ce long-métrage se présente au premier abord comme un polar psychologique. Il commence par un meurtre commis dans les années 1990 dans la campagne française, celui d’un colonel à la retraite, Raoul Duplan. Un crime a priori mystérieux, qui va mobiliser la police « civile » et l’institution militaire après qu’une lettre anonyme eut mis les limiers sur la piste d’un mobile : « Le Colonel est mort à Saint-Arnaud ». Le gradé fut en effet en poste dans cette petite ville des environs de Sétif au plus fort du conflit et y a laissé le souvenir d’un militaire prêt à tout pour défendre l« Algérie française ». Mais qui a bien pu vouloir lui régler son compte presque un demi-siècle plus tard ? Au fil de l’enquête, il apparaîtra que Duplan, de façon perverse, a réussi à amener son aide de camp Guy Rossi – un jeune licencié en droit qui a devancé l’appel sous les drapeaux par dépit amoureux – à se salir les mains. Profitant de ce que Rossi avait fort bien analysé ce que permettaient les « pouvoirs spéciaux » accordés aux militaires par le gouvernement de Guy Mollet – en clair, « tout est permis » -, il avait imposé à celui-ci de s’occuper du renseignement. Autrement dit, en particulier, de participer indirectement à la torture des suspects. La descente aux enfers de Rossi, pris dans l’engrenage mais qui refusera d’aller au bout de l’abjection, se terminera quand il sera « porté disparu » jusqu’à ce que la réapparition de ses écrits de l’époque et la mort de Duplan obligent à rouvrir le dossier de cette bien commode disparition.
Le film n’évite pas quelques facilités : le noir et blanc pour les scènes d’époque, la couleur pour aujourd’hui, etc. Mais il a le mérite de revenir sans fard sur les horreurs que cette guerre a entraînées au prétexte d’une « pacification » fort peu pacifique. Un retour salutaire, donc, sur une page d’histoire encore peu explorée au cinéma du côté nord de la Méditerranée. Mais aussi, à travers cette exploration, de la transformation d’un jeune humaniste en tortionnaire, un film qui parle d’un sujet qui n’a, hélas, rien perdu de son actualité.

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