Pourquoi ça recommence

Les ex-« libérateurs », qui l’avaient accompagné dans sa marche triomphale sur Bangui, mais aussi des fidèles de l’ancien président Patassé passés à la rébellion, se rappellent au bon souvenir du chef de l’État. Les armes à la main.

Publié le 20 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Un cauchemar sans fin. Ainsi se décline, désespérante et pavlovienne, l’histoire de la Centrafrique (RCA) depuis l’éclatement il y a une douzaine d’années des premières mutineries, qui peu à peu, de crises aiguës en rémissions éphémères, ont plongé ce pays dans une sorte d’état comateux, au milieu de l’indifférence générale. Le hasard a voulu que la prise du pouvoir par la force du général François Bozizé, en mars 2003, coïncide avec l’éclatement du conflit majeur du Darfour. Trois ans et demi plus tard, alors que la RCA semblait enfin s’engager sur la voie de la guérison, avec la concrétisation imminente d’accords conclus avec le Fonds monétaire international (FMI), la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale, les métastases du cancer soudanais ont rattrapé Bangui. Sur un corps aussi affaibli que celui-là, le mal progresse vite. Il suffit en l’occurrence qu’un pouvoir complaisant, celui de Khartoum, ferme les yeux sur les activités de rebelles pressés de dépecer les restes d’un pays exsangue, pour que le tour soit joué. Et que l’Histoire se répète.
Car même si le Soudan est très loin d’avoir fourni aux rebelles centrafricains une assistance militaire et logistique aussi lourde que celle dont bénéficient leurs homologues tchadiens, c’est bien des confins du Sud-Darfour qu’est partie, fin octobre, la colonne de guérilleros qui menace aujourd’hui le régime Bozizé. De qui s’agit-il ? L’essentiel des troupes est constitué d’ex-« libérateurs », ceux-là mêmes qui avaient accompagné François Bozizé dans sa marche triomphale sur Bangui, fin 2002 et début 2003. Centrafricains du Nord, appartenant à des ethnies à cheval sur les trois frontières (Tchad-Soudan-Centrafrique), ces hommes, dont certains se sont livrés à de multiples exactions, ont été renvoyés dans leurs foyers, nantis d’un petit pécule, en 2004.
Devenus embarrassants pour le nouveau pouvoir, ils remâchaient depuis lors leur amertume, disponibles pour de nouvelles aventures. Plusieurs des chefs actuels de l’UFDR (Union des forces pour la démocratie et le rassemblement), qui a revendiqué la prise des localités de Birao, Sam-Ouandja, Djallé et Ouadda entre le 30 octobre et le 15 novembre, ont ainsi servi directement sous les ordres de Bozizé. Le capitaine Abakar Sabone fut l’un des officiers chargés de sa sécurité, le lieutenant-colonel Ahmat Faki, l’un des leaders les plus redoutés des « libérateurs » et le président de l’UFDR, Michel Am Nodroko Kotodji, était jusqu’à son expulsion vers le Bénin il y a un an le consul général de Centrafrique à Khartoum.
Passablement hétéroclite, mais unie par un même ressentiment à l’encontre du pouvoir de Bangui, cette coalition regroupe ?également d’anciens fidèles de l’ex-?président Patassé comme Hassan Justin et le lieutenant Florian Ndjadder. La stratégie de l’UFDR, forte de quelques centaines d’hommes, mais qui recrute des miliciens au fur et à mesure de son avancée, demeure floue. Elle évolue entre l’offre de négociation (au Bénin de préférence, sous la houlette du président Boni Yayi) pour un partage du pouvoir et l’envie à peine dissimulée de marcher sur Bangui. « Quand la capitale sera à nous, nous mettrons en place une formule transitoire à la mauritanienne, dont seront exclus tous ceux qui ont exercé de hautes responsabilités dans le passé, y compris bien sûr les anciens présidents Patassé et Kolingba », assure Florian Ndjadder, le secrétaire général de l’UFDR.
À ce front du Nord-Ouest en activité s’ajoute un autre, pour l’instant peu actif mais potentiellement plus dangereux, car moins éloigné de Bangui. Il concerne les provinces de l’Ouham et de l’Ouham Pendé, adossées à la frontière tchadienne. Ici évoluent des bandes armées, qui ont en commun leur rapport plus ou moins direct avec Ange-Félix Patassé, l’exilé de Lomé, dont cette région est le fief. Son homme de main Abdoulaye Miskine, son ancien ministre de la Défense Jean-Jacques Demafouth et l’un de ses propres fils, Sylvain, ont chacun leurs partisans sur le terrain. Comme les rebelles de l’UFDR, avec lesquels ils n’ont pour l’instant aucune relation opérationnelle, ceux-là manquent de moyens et se servent sur l’habitant. En outre, l’armée tchadienne qui boucle les zones pétrolières du Chari, limite considérablement leurs possibilités de repli.
Mais les escarmouches ont repris mi-novembre, signe d’un réveil préoccupant pour François Bozizé. Le chef de l’État doit en effet compter avec une armée démoralisée, en partie infiltrée par l’ennemi et qui ne comporte en son sein qu’une poignée de bataillons « utiles ». Or ces derniers doivent se déployer, sans aucune logistique appropriée, sur trois fronts à la fois : le Nord-Ouest, le Nord-Est et la région de Bangui, laquelle fait face à la province congolaise de l’Équateur, où règne en maître un certain Jean-Pierre Bemba, lequel cache à peine son hostilité envers l’actuel régime centrafricain.
Pour le général Bozizé, l’appui de la communauté internationale est donc essentiel. Les Français, qui disposent d’un petit contingent d’instructeurs sur place et d’un conseiller militaire, le général Guillou, au sein de la présidence, se sont engagés à lui fournir une aide identique à celle offerte hier à Idriss Déby Itno : du renseignement aérien et du transport de troupes. Mais pas d’engagement au sol. Quant aux éléments tchadiens, congolais et gabonais de la Fomuc, ils sont certes présents à Bangui, à Bozoum et autour de la localité diamantifère de Bria. Mais, prudents, ils ne feront le coup de feu que si les rebelles les attaquent – or ces derniers envisagent apparemment de les contourner. Si, à la différence de son prédécesseur, François Bozizé jouit plutôt d’une bonne image tant à Paris que dans les capitales de la région – nul n’envisage pour l’instant de le lâcher en rase campagne comme Patassé en mars 2003 -, la persistance de la situation actuelle, a fortiori sa dégradation, conduira inévitablement ses partenaires à prôner l’ouverture d’une vraie négociation avec les rebelles.
C’est aussi ce que souhaitent l’opposition centrafricaine, la société civile de Bangui et une bonne partie de la population centrafricaine, effarée à l’idée d’une nouvelle bataille de Bangui. Or, le réflexe du président Bozizé, comme de tout chef d’État contesté dans sa légitimité, est, on le sait, de frapper d’abord et de reconquérir le terrain perdu, quitte à discuter ensuite en position de force. Tentation naturelle, si l’on peut dire. À condition, bien sûr, d’en avoir les moyens

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