Les négociateurs arrivent

Publié le 20 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Vous ne m’en voudrez pas, j’espère, si je traite cette semaine encore du « tournant du 7 novembre » intervenu aux États-Unis d’Amérique.
On en attend beaucoup dans le monde entier, car on y a vu la promesse d’un changement de cap planétaire : les nuées qui s’amoncelaient, annonciatrices d’orages, pourraient se disperser dès lors que les « unilatéralistes » seraient éloignés des commandes, l’un après l’autre, et remplacés par des apôtres de la négociation.
Ces derniers ont un leader : James Baker (voir en pages 29-30 l’article que lui consacre Hamid Barrada).

« Vous réalisez que vous n’êtes plus au pouvoir lorsque vous voyez que votre limousine avec chauffeur est jaune et que le conducteur parle avec un fort accent iranien »
L’homme de ce trait d’humour ? James Baker, précisément, un ponte du Parti républicain et un ami de la famille Bush. Lorsqu’il a prononcé ces mots, il vivait une de ces « traversées du désert » auxquelles échappent peu d’hommes politiques, qui l’avait forcé à utiliser, plus qu’il ne l’aurait voulu, ces fameux taxis des grandes villes américaines, peints en jaune – et invariablement conduits par des immigrés, nouveaux venus aux États-Unis.
Il est aujourd’hui revenu aux affaires, la limousine qui le transporte n’est plus jaune, et nous allons beaucoup entendre parler de lui.
Car on attend de lui énormément, peut-être trop : qu’il sorte la Maison Blanche – en fait l’Amérique – du bourbier irakien où l’ont enfoncée George W. Bush et, entre autres, ses deux mauvais génies, Dick Cheney et Donald Rumsfeld.

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Le premier est encore en place, tapi derrière le président. Rien ne le décrit mieux que ces quelques phrases tirées d’une interview que ce vice-président des États-Unis a imprudemment donnée à Time la veille même du scrutin du 7 novembre, que son parti et son président allaient perdre. Aveuglé ou manipulateur ? En tout cas, il annonça le résultat inverse, c’est-à-dire la victoire de son parti.
« Les élections du 7 novembre ? Je suis optimiste : nous garderons à la fois la Chambre des représentants et le Sénat (sic).
L’Irak ? Je pense que nous avons fait le bon choix et que nous faisons aujourd’hui ce qu’il faut faire. J’en suis intimement convaincu, et le président également.
Instaurer un gouvernement démocratique en Irak, neutraliser un État qui soutient le terrorisme, mettre un terme à la pratique qui consiste à verser de l’argent aux familles des kamikazes – nous l’avons fait jusqu’ici et c’est du bon travail.
Nous avons encore beaucoup à faire. La tâche est ardue, mais il est essentiel que nous allions jusqu’au bout. []
Je sais ce que pense le président et je sais ce que je pense : nous ne cherchons pas une stratégie de sortie. Nous cherchons la victoire.
Notre stratégie n’a pas changé. Notre tactique change de temps à autre ; elle doit s’adapter et s’ajuster. »

James Baker est l’antithèse de ce monument d’arrogance. Son seul sésame est : discuter, négocier, au lieu de dicter : « Il faut être réaliste, déterminé, dit-il, mais on ne risque rien à parler avec ses ennemis. »
Lui, au contraire de Cheney et de George W. Bush, a été attentif aux impressions du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, rapportées du court séjour qu’il a fait en Iran au début de septembre dernier et qu’il a rendues publiques :
« Les dirigeants iraniens, a écrit Kofi Annan, vivent avec la peur d’être attaqués. Leur économie ne va pas tellement bien. Ils ne font pas autant de progrès que les autres pays. Quand ils voyagent dans la région, ils voient comment des pays plus petits vont de l’avant. Mais ils sont victimes de sanctions, ils sont isolés, ils ont des catastrophes aériennes parce qu’ils ne peuvent pas avoir de pièces de rechange. Voilà un pays qui est un des premiers producteurs de pétrole et qui n’a pas une seule raffinerie. C’est absurde. »
L’Iran, mais aussi la Syrie, et par ailleurs la Corée du Nord, veulent qu’on les considère, qu’on cesse de les menacer d’un changement de régime, voire de frappes aériennes.

« Ouvrons des négociations avec eux, séparément, car ils ne sont ni un front uni, ni cet axe du Mal dont il a été question dans une formule fausse et mal venue que les collaborateurs du président n’auraient pas dû lui proposer.
Nous obtiendrons d’eux par la discussion beaucoup plus que par des menaces impossibles à mettre à exécution ou qui conduiraient, si elles étaient suivies d’effet, à des conséquences incontrôlables.
La question qui se pose n’est pas de savoir s’il faut parler avec le pouvoir iranien, mais quand, comment et de quoi. Nous aurions mieux fait de commencer à dialoguer avec lui quand notre position dans la région était meilleure »
Telle est la pensée, tel est le langage de ces « néoréalistes » dont la voix se fait désormais entendre à Washington.
Ils ne sont certes pas au pouvoir, mais seulement appelés à donner leur avis au président pour l’aider à sortir de la nasse où il s’est mis. Et au Congrès, qui tient les cordons de la bourse et commence à s’inquiéter.
Par prudence, ils ne parlent pas encore d’un processus de paix israélo-palestinien, ou israélo-arabe. Mais n’en doutez pas, ils y pensent, ainsi qu’à une conférence internationale sur le Moyen-Orient.

Leurs points faibles ? George W. Bush est-il capable d’un aggiornamento de cette amplitude ? Dick Cheney et les autres néoconservateurs, encore retranchés au sein de l’administration et qui freinent des quatre fers, laisseront-ils le président échapper à leur influence ?
L’actuel gouvernement israélien, faible, désemparé, le plus mauvais qu’ait eu ce pays depuis qu’il existe, pourra-t-il suivre, alors qu’il a érigé le refus de tout dialogue avec l’Iran et la destruction de son arsenal nucléaire en priorité stratégique nationale ?
Les dirigeants actuels du monde arabe et ceux que les Américains ont placés à la tête de l’Irak peuvent-ils être autre chose que des boulets ?
Et le pouvoir iranien actuellement en place est-il capable de renoncer à sa politique de défi au profit d’une diplomatie constructive ?
Réponses à ces interrogations tout au long des deux prochaines années – celles qui restent à George W. Bush pour tenter de sauver ce qui lui reste de réputation.

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