[Tribune] Quand le risque terroriste dépasse la menace

Le terrorisme est-il essentiellement une menace ou un risque ?

Un commando de l’État islamique. © AFP

Un commando de l’État islamique. © AFP

Sihine Negede © DR
  • Sihine Negede

    Sihine Negede est experte en droits humains, basée à Addis-Abeba et diplômée de la School of Oriental and African Studies (SOAS), de l’Université de Londres.

Publié le 9 janvier 2020 Lecture : 3 minutes.

La notion de menace induit des moyens de défense ou d’attaque tandis que celle du risque appelle des dispositions préventives. La première conception s’est répandue dans la sphère publique sous l’influence d’un discours visant à légitimer une certaine forme d’action politique. Mais cette logique démontre des limites évidentes en termes d’efficacité sur le terrain, comme le prouve la résurgence récente des attaques terroristes revendiquées par Daesh en Afrique de l’Ouest notamment.

Aujourd’hui, le terrorisme est à penser sous l’angle du risque à prévenir si l’on veut réellement l’éradiquer. Car il s’est durablement installé dans le paysage mondial. Selon un rapport du Conseil de Sécurité des Nations Unies publié en 2018, le nombre de combattants étrangers de Daech s’élève à 30 000, en provenance de 100 pays différents (1). Parmi eux, 5000 viendraient de seulement 4 pays européens : le Royaume-Uni, la Belgique, la France et l’Allemagne.

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Injustice sociale

Daech n’est donc pas un produit local, mais plutôt un réseau international dans lequel les réseaux sociaux jouent un rôle de premier plan comme levier de recrutement. Des vidéos virales invitent les musulmans du monde à se lever contre l’injustice sociale, la marginalité économique ou l’influence de l’ancien colon, mais aussi à défendre les musulmans victimes de stigmatisation, de racisme, et de tuerie. Des arguments qui, hélas, résonnent chez beaucoup.

Les Shabab, nom signifiant « la jeunesse », secte terroriste basée en Somalie, attirent les jeunes exclus principalement grâce aux rémunérations qu’ils offrent, soit un salaire de 700$ par mois (2). Ces recrutements se font dans les régions les plus pauvres et reculées de la Somalie, auprès des groupes âgés entre 12 et 16 ans. Tout comme Al-Shabab, Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) recrute en Afrique de l’Ouest auprès des plus jeunes et des plus pauvres. Les attentats de Bamako, Ouagadougou et de Grand-Bassam ont été revendiqués par Aqmi, mais exécuté par des jeunes d’Afrique subsaharienne (3). Et c’est ainsi pour beaucoup de sectes terroristes : exploiter cet échec d’intégration économique, social et culturel pour gonfler le nombre de leurs adeptes et combattants. Avec succès.

Malgré les interventions militaires, Daesh pouvait toujours compter sur le soutien de 30 000 combattants étrangers en juillet 2019

Cela fait maintenant 18 ans que les États-Unis se sont engagés dans une guerre globale contre le terrorisme, et bientôt 6 ans que la Coalition exécute des offensives militaires au Moyen-Orient contre Daesh. La menace n’en est pas réduite ou éliminée pour autant ; en juillet 2019, l’organisation terroriste pouvait toujours compter sur le soutien de 30 000 combattants étrangers (4).

Une nouvelle feuille de route

En 2015 seulement, le budget de cette guerre s’élevait à environ 32 milliards d’euros en France ; c’est le « prix pour notre sécurité, pour éviter que Daech renouvelle ses interventions barbares sur notre territoire » disait Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense.

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Daesh, aux côtés d’autres sectes terroristes en Afrique, n’aurait probablement pas connu un tel succès sans l’aide cruciale apportée par ces crises sociales et identitaires. Des éléments que les sectes terroristes savent exploiter en leur faveur. Les combattants étrangers qu’elles recrutent sont en général des individus issus de groupes vivant un malaise profond, qui ont souvent internet pour seul refuge – ce que de nombreux repentis confirment.

À cet égard, l’organisation d’une vraie table ronde internationale incluant la plupart des acteurs de la lutte contre le terrorisme, avec des témoignages de repentis publiés sous formes de livres ou d’articles, pourrait servir à l’élaboration d’une nouvelle feuille de route. Et surtout amener à consacrer une partie du budget colossal de cette guerre dans la réduction de la pauvreté, seul levier durable pour avoir des résultats sur le long terme.

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(1) Twenty-second report of the Analytical Support and Sanctions Monitoring Team submitted pursuant to resolution 2368 (2017) concerning ISIL (Da’esh), Al-Qaida and associated individuals and entities
(2) Voir le rapport de Counter Extremism Project sur le groupe Al Shabab
(3) Aqmi recrute de plus en plus de jeunes en Afrique de l’Ouest (RFI)
(4) Voir le rapport du Conseil de sécurité de l’ONU du 11 février 2019

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