Le Delta à la dérive

La violence récurrente dans le Sud déstabilise la Fédération. Et inquiète davantage à cinq mois de l’élection présidentielle.

Publié le 20 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Dans sa volonté d’inscrire la Fédération nigériane dans un nouveau type de gouvernance après des années de dictature militaire, le président Olusegun Obasanjo aura buté, comme ses prédécesseurs, sur un sérieux obstacle : le Delta du Niger. Cette région, qui couvre plusieurs États du sud du pays (Rivers, Bayelsa, Delta, Akwa Ibom, etc.) et d’où sont tirés près de 75 % des 2,6 millions de barils de brut produits quotidiennement par la première puissance pétrolière africaine, est même devenue le cauchemar du chef de l’État nigérian, qui quittera le pouvoir au terme de son deuxième mandat, en avril prochain.
Après une brève accalmie en juillet et en août, la reprise, en octobre, des prises en otages d’expatriés et de cadres nigérians travaillant pour des compagnies étrangères renforce ce sentiment. La fréquence des rapts confirme en outre une impression unanimement partagée par les diplomates occidentaux : le Delta du Niger est devenu un espace de « guérilla » en voie de « sud-américanisation ».
Avec les attaques récurrentes de plates-formes offshore, les assauts contre des tankers et le sabotage des infrastructures pétrolières qui amputent chaque année les recettes nationales d’hydrocarbures de 1,5 milliard de dollars, selon les experts internationaux, ces enlèvements en plein jour rappellent les méthodes de certains mouvements séditieux d’Amérique latine, telles les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Un phénomène que l’International Crisis Group (ICG) a d’ailleurs décrit par le menu, dans trois rapports très documentés sur la question qui mettent en garde la communauté internationale contre le risque d’implosion du pays le plus peuplé d’Afrique.
Militants de la cause séparatiste, communautés locales à la frustration exacerbée, bandits de grand chemin, contrebandiers : le Delta rassemble des groupes aux intérêts très différents. Jusqu’à l’arrestation en septembre 2005 de son chef Alhaji Mujahid Dokubo-Asari, 41 ans, les Forces des volontaires du peuple du Delta du Niger (NDPVF) étaient l’organisation la plus visible, car la mieux structurée. Aujourd’hui en prison, dans l’attente de son procès pour avoir menacé, à l’époque, de « désagréger le Nigeria », Alhaji Mujahid Dokubo-Asari jouirait toujours d’un important pouvoir de nuisance. Adulé par des milliers de sympathisants Ijaws, qui voient en lui le héraut d’une lutte totale contre le pouvoir central d’Abuja, il est également soupçonné d’avoir, depuis sa cellule, suscité la naissance en janvier 2006 du Mouvement pour l’émancipation des peuples du Delta (Mend), l’une des organisations les plus en vue aujourd’hui. Très divers, les groupes contestataires du Delta se retrouvent néanmoins sur trois points, comme la dénonciation de la pauvreté dans les États du Sud, la condamnation des dégâts environnementaux causés par l’exploitation de l’or noir dans une région à l’écosystème extrêmement fragile, et l’exigence d’une meilleure répartition de la rente pétrolière.
Ces exigences, récurrentes dans l’histoire du Nigeria, ont été révélées par la tentative de sécession du Biafra, entre 1967 et 1970. Évidemment, la donne a changé depuis et, par ricochet, les revendications également. Alors qu’à la fin des années 1960 le pouvoir de gestion étroit des États sur les ressources de leur sous-sol faisait naître des velléités autonomistes au sein de la fédération, la division du pays au fil des ans – le nombre d’États nigérians est passé de 12 en 1967 à 36 en 1996 -, qui s’est accompagné d’un renforcement du contrôle du pouvoir central sur les matières premières nationales, a conduit les activistes à limiter leurs prétentions à une meilleure redistribution des recettes pétrolières.
Reste que, près de quarante ans après la guerre du Biafra, le recours à des modes d’expression toujours spectaculaires témoigne de leur difficulté persistante à se faire entendre Et du sous-développement dans lequel ils continuent de s’enfoncer. La grande majorité des 20 millions d’habitants que compte le Delta, qui appartiennent aux trois ethnies dominantes de la région (Ijaws, Itserekis et Urhobos), vit dans un total dénuement. Le chômage et la criminalité y sont endémiques, les infrastructures de base inexistantes, et les rares routes goudronnées sont celles qui mènent aux installations pétrolières.
Selon l’ICG, l’abandon progressif du système des dérivations n’a rien arrangé. Alors que chaque État se voyait rétrocéder 50 % des revenus tirés de son sous-sol en 1960 grâce à ce mécanisme, aboli en 1982, leur part a chuté à 13 % depuis 1999, après avoir touché le fond sous la dictature du général Sani Abacha (1,5 % de rétrocession seulement). Pour les groupes armés et les représentants de la région, qui continuent à demander le contrôle de 25 % à 50 % des recettes de leurs ressources pétrolières, cette situation est loin d’être satisfaisante. Mais l’actuelle Constitution faisant des hydrocarbures une propriété de l’État fédéral, leur requête est systématiquement rejetée. Pour l’instant.
Bien que soucieux de l’impact international d’une telle situation, « à tous les niveaux, Obasanjo a manqué à son obligation de prendre en compte la complexité des problèmes de ces États », indique l’ICG. Partisan d’une ligne dure vis-à-vis des rebelles, Obasanjo a même répondu par la pire des solutions : le recours à la force, notamment depuis 2001, avec la création du Comité spécial pour la sécurisation des zones de production de pétrole. Sans succès apparemment, puisque, aujourd’hui, tous les signes d’une insurrection sont en place et que le scrutin du 21 avril prochain a d’ores et déjà réveillé les vieux démons qui s’emparent du pays à chaque échéance électorale. En 2003, le vote pour le renouvellement des gouverneurs, largement entaché de fraude, avait déclenché de graves émeutes à Warri, la capitale de l’État du Delta, entraînant des centaines de morts.
Pour l’ICG, « la refonte du système de contrôle des dépenses fédérales et étatiques est [donc] indispensable. Les responsables nigérians doivent comprendre que ces réformes sont la seule voie possible pour encourager la stabilité de la région », ajoute encore le think-tank.

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