La fin du chaos ?

La large élection de Joseph Kabila à la présidence de la République n’est pour l’instant contestée par Jean-Pierre Bemba, son challengeur, qu’avec modération.

Publié le 20 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Joseph Kabila (35 ans) est donc le premier chef de l’État congolais démocratiquement élu au suffrage universel depuis l’indépendance, en 1960. Après sept ans de guerre et trois ans d’une laborieuse transition politique, le scrutin du 29 octobre marque un tournant historique en République démocratique du Congo (RDC). La victoire du président sortant est sans doute moins large que ne l’espéraient ses partisans. Et certainement plus difficile à obtenir que ne l’avaient prévu les stratèges du palais de la Nation. Les résultats provisoires annoncés le 15 novembre par la Commission électorale indépendante (CEI) créditent Kabila de 58,05 % des suffrages, contre 41,95 % à son adversaire, Jean-Pierre Bemba (44 ans). En cas de confirmation par la Cour suprême, le nouveau président sera officiellement investi le 10 décembre.
Joseph Kabila pourra alors chaleureusement remercier les électeurs de l’Est, car c’est dans cette région dévastée par le conflit qu’il a assuré son succès. Plus de 96 % des suffrages dans les deux provinces du Kivu et le Maniema, près de 94 % dans le Katanga, presque 80 % dans la Province Orientale : ces résultats quasi « staliniens » démontrent que la machine du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) a fait des merveilles Au total, ces cinq provinces regroupent 11,4 millions d’électeurs, soit 45 % des inscrits (25,4 millions). Malgré une baisse de la participation avoisinant les cinq points, Kabila gagne 900 000 voix par rapport au premier tour.
Autre satisfaction : Kinshasa et le Bandundu. Après la déconvenue du premier tour, le président sortant dépasse les 30 % dans la capitale et frôle les 40 % dans la province limitrophe. Contre, respectivement, 15 % et 2,65 %, le 30 juillet. Aucun doute, l’appel à voter Kabila lancé par Antoine Gizenga, le candidat arrivé en troisième position, a été entendu. Surtout dans son fief du Bandundu. « L’héritier de Patrice Lumumba dispose d’un parti discipliné [le Palu] et de militants aux ordres », commentait un analyste, avant le scrutin. Bien vu, le report des voix a parfaitement fonctionné. Et le « Patriarche », comme on surnomme Gizenga, peut à présent engager en position de force les tractations pour le poste de Premier ministre promis à sa formation.
Dans l’ouest du pays, Bemba a globalement renforcé ses positions. Se présentant comme le « fils du pays », il a mené une campagne délibérément nationaliste – n’hésitant pas à reprendre le nauséeux thème de la « congolité » – qui lui a permis de ratisser large et de glaner 2 millions de voix supplémentaires entre les deux tours. Avec un record dans sa province natale de l’Équateur (97 %) et un très bon score à Kinshasa (68 %). Cela n’a pas suffi. Le moindre poids démographique des provinces de l’Ouest (9,9 millions d’inscrits) et la sensible augmentation du nombre des abstentionnistes (à laquelle des pluies diluviennes le jour du scrutin ont peut-être contribué) lui ont été fatals.
Avec près de 4 millions d’électeurs, les deux Kasaïs, dans le centre du pays, auraient pu lui permettre de rétablir l’équilibre. Il n’en a rien été. Les appels du pied de Bemba en direction d’Étienne Tshisekedi sont restés vains : le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) n’a donné à ses partisans, majoritaires dans la région, aucune consigne de vote. Au Kasaï, moins d’un électeur sur deux s’est déplacé (un peu plus, quand même, qu’au premier tour). La majorité d’entre eux ont voté Bemba, mais les scores enregistrés par celui-ci (67 % dans le Kasaï oriental et 76 % dans le Kasaï occidental) ne lui ont pas permis de combler son retard sur Kabila.
Reste à s’assurer de la transparence du scrutin. Les premières impressions sont positives. Les observateurs internationaux ont, semble-t-il, relevé beaucoup moins de dysfonctionnements que lors du premier tour, notamment en ce qui concerne la compilation des résultats. « Moins d’irrégularités constatées et une meilleure organisation », commente l’un d’eux. Mais, rapidement, le débat a dérivé sur l’octroi « intempestif » des dérogations permettant à un électeur de voter hors de sa circonscription. Celles-ci étaient réservées aux observateurs et agents électoraux et aux représentants des partis dépêchés dans les bureaux de vote. Résultat : dans l’Équateur comme au Katanga, certains bureaux de vote enregistrent des taux de participation supérieurs à 100 % ! Selon les observateurs européens, l’impact de cette utilisation frauduleuse ne peut pas dépasser 650 000 voix. Or l’écart de voix entre les deux candidats est de 2,6 millions. A priori, le verdict des urnes ne peut donc pas être remis en cause.
Impulsif mais intelligent, Bemba a sans doute évalué le rapport des forces. S’il estime que les résultats « sont loin de refléter la vérité des urnes », il n’envisage que des moyens légaux pour « faire respecter la volonté du peuple ». Pas d’appels à une contestation populaire ni de protestations véhémentes. Une modération qui tranche avec la virulence des propos tenus, la veille, par Fidèle Babala, son directeur de cabinet (« hold-up électoral »).
En dépit de quelques incidents isolés, Kinshasa « l’insoumise » est restée relativement calme après l’annonce des résultats. Les gardes armés de Bemba ont quitté les abords de sa résidence officielle pour laisser la place aux Casques bleus de la Monuc. Le désormais ex-vice-président a par ailleurs reçu de nombreux visiteurs, de William Swing, le chef de la mission onusienne, à Aldo Ayelo, le représentant de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs, en passant par plusieurs ambassadeurs en poste à Kinshasa. Tous ont exercé sur lui de discrètes pressions. « Soyez fair-play. Vous êtes aujourd’hui le chef incontesté de l’opposition, sachez en profiter », lui a conseillé l’un d’eux.
Quant au chef de l’État, il s’est immédiatement engagé, devant les caméras de télévision, à être « le président de tous les Congolais pour parachever le chantier de la reconstruction nationale ». C’était son programme de campagne. Il est vrai que c’était aussi celui de son adversaire.

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