Jérusalem : l’histoire revue et corrigée

Pour le journaliste du quotidien britannique The Independent, le film d’Élie Chouraqui déforme délibérément les événements qui ont entouré la fondation de l’État d’Israël.

Publié le 20 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Oui, le film Ô Jérusalem d’Élie Chouraqui – inspiré du best-seller de Dominique Lapierre et Larry Collins sur l’épopée de la fondation de l’État d’Israël – est un pur produit de l’hollywoodisation de notre continent. L’une des vedettes est le chanteur français Patrick Bruel, dans le rôle d’un chef militaire israélien ; on y voit un David Ben Gourion flamboyant, cheveux blancs éclatants défiant les lois de la gravité ; Saïd Taghmaoui et J.J. Field incarnent le duo incontournable dans ce genre de cinéma, l’Arabe (Saïd Chahine) et le Juif (Bobby Goldman), tous deux loyaux, modérés et bons, dont l’amitié survit à la guerre qui les oppose.
Nous avons l’habitude de ce couple, bien sûr. Dans Exodus, adapté du roman de Leon Uris sur ces mêmes événements de 1948, il y avait déjà un « gentil » Arabe qui se lie d’amitié avec le héros juif Paul Newman, tout comme Ben Hur nous a présenté un « gentil » Arabe qui prête ses chevaux à Charlton Heston-Yehuda Ben Hur pour qu’il affronte à la course de chars le plus odieux centurion qu’ait connu l’Empire romain. []
Ce n’est pas la bestialisation ordinaire des musulmans qui me préoccupe. Il suffit de regarder Ashanti, le film sur les marchands d’esclaves arabes, également tourné en Israël, avec Roger Moore en vedette et (qui l’eût cru ?) Omar Sharif, pour voir les Arabes dépeints comme des assassins, des nazis, voleurs et violeurs d’enfants. L’antisémitisme anti-Arabes – qui sont évidemment eux aussi des sémites – est courant au cinéma. []

Non, ce à quoi je m’oppose, c’est à la distorsion délibérée de l’Histoire, à la déformation des événements pour présenter les Juifs comme les victimes de la guerre d’indépendance israélienne (6 000 morts), alors qu’en réalité ils étaient les vainqueurs, et les Arabes de Palestine – du moins de cette partie de la Palestine qui est devenue Israël en 1948 – comme les responsables de cette guerre et ses prétendus vainqueurs (parce que les Juifs de Jérusalem-Est ont été obligés de partir après le cessez-le-feu) plutôt que comme ses principales victimes. Prenez, par exemple, le massacre de Deir Yassine en 1948, où le groupe Stern a assassiné les villageois arabes de ce qui est devenu aujourd’hui Givat Shaul, dans la banlieue ?de Jérusalem, éventré les femmes et jeté des ?grenades dans des chambres pleines de civils. Dans ?Ô Jérusalem, le groupe Stern est représenté comme un gang de truands, sorte d’al-Qaïda juive, déconnecté de l’armée israélienne.

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Dans ce film, vous voyez les cadavres des Arabes et une femme blessée, soignée ensuite par un Israélien -, mais, en aucune façon, il n’apparaît clairement que Deir Yassine n’était qu’un village parmi beaucoup d’autres dont les habitants furent eux aussi exterminés – cela fut particulièrement le cas en Galilée – et les femmes violées par les combattants juifs. Les « nouveaux » historiens d’Israël ont déjà courageusement révélé ces faits, et prouvé de manière irréfutable que l’objectif était de spolier 750 000 Palestiniens de leur foyer. L’historien israélien Avi Shlaim, faisant référence à cette période, a eu le courage de parler de « purification ethnique ». Mais rien de tel n’est suggéré lors de la scène de massacre à Deir Yassine dans Ô Jérusalem.
Un massacre qui relève de l’acte politique a été réduit dans ce film à un simple dérapage provoqué par une poignée d’extrémistes armés. À la fin du film, un texte défile à l’écran qui soutient que la spoliation des Palestiniens est la conséquence de la « propagande arabe ». Ce qui est une fable. Là encore, les historiens israéliens ont dénoncé le mensonge selon lequel les dirigeants des pays arabes avaient conseillé par radio aux Palestiniens d’abandonner leurs maisons « jusqu’à ce que les Juifs soient jetés à la mer ». Ce message n’a jamais été diffusé. La plupart des Palestiniens ont fui parce qu’ils avaient peur de connaître le même sort que les gens de Deir Yassine. La propagande concernant le message radio était israélienne, pas arabe.
C’est comme si une couverture, un rideau, un voile avait été jeté sur l’Histoire – pour que l’ombre des événements réels soit juste visible, et leur signification travestie de telle sorte qu’elle devienne incompréhensible.

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