[Tribune] L’eco, les ego et leurs échos

Les décisions relatives au franc CFA et à l’eco sont historiques. Mais il ne faut pas, pour des questions d’ego, vouloir précipiter la mise en place de la nouvelle monnaie.

Le président français Emmanuel Macron (d) et le président de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, à l’aéroport d’Abidjan, le 20 décembre 2019. © AP/Sipa

Le président français Emmanuel Macron (d) et le président de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, à l’aéroport d’Abidjan, le 20 décembre 2019. © AP/Sipa

Amadou KANE © Amadou Kane (Sénégal), ministre de l’économie et des finances.   A Paris, le 18 janvier 2013.   Photo de Vincent Fournier/Jeune Afrique
  • Amadou Kane

    Ancien ministre sénégalais de l’Économie et des Finances

Publié le 14 janvier 2020 Lecture : 4 minutes.

Annoncées le 21 décembre à Abidjan par Alassane Ouattara, président de la Conférence des chefs d’État de l’Uemoa, en présence du président français, les décisions relatives au franc CFA et à l’eco sont historiques.

Il n’est pas étonnant que ces annonces aient été autant médiatisées. Mais il est surprenant que les questions que l’opinion se pose soient encore plus nombreuses que les préoccupations qui prévalaient avant l’annonce de la réforme ! Sans parler de cette étrange impression que tout change et que… rien n’a changé !

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En effet, autant les mesures allant dans le sens du démantèlement des mécanismes de fonctionnement et de gestion du franc CFA ont été clairement émises (changement d’appellation, clôture du compte d’opération, sortie des représentants de la France des instances de gouvernance de l’Uemoa), autant les mécanismes de la mise en œuvre de cette nouvelle monnaie restent pour le moins flous.

Absence de calendrier précis

En outre, aucun des responsables des institutions monétaires de nos États n’a pu ni voulu indiquer un calendrier précis pour la concrétisation de cette réforme majeure. Pourtant, un tel projet ne nécessite pas seulement le respect des critères de convergence, aussi essentiels soient-ils ! Il exige au minimum :

• de revisiter les traités et lois organisant la gestion de la monnaie, la gouvernance des institutions et le pilotage de leur devenir durant la phase intérimaire ;

• de doter les nouvelles institutions – en particulier la Banque centrale fédérale – de compétences adéquates et d’outils adaptés, et de les faire adopter à travers des instruments juridiques crédibles ;

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• de définir les cibles d’une politique monétaire qui puisse agir en dénominateur commun et qui soit opératoire dans les structures économiques variées de nos États ;

• d’arrêter de façon consensuelle le régime de change qui serait optimal, avec la possibilité de procéder par un phasage des régimes (ceux-ci pourraient être fixes au départ, « flexibles encadrés » par la suite et, pourquoi pas, pour finir, aboutir à un régime de flottement généralisé) ;

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• d’organiser le remplacement des signes monétaires CFA.

S’approprier le projet

Ces questions sont si complexes qu’il serait étonnant qu’on puisse achever de les discuter en 2020. Il ne faut pas, pour des questions d’ego, vouloir précipiter la mise en place de la nouvelle monnaie. Ces problématiques sont tellement essentielles qu’il ne faut pas expédier les concertations. Il y aura certainement besoin, à certains moments, de consulter nos populations.

Dès lors, le piège que nous devrions éviter à tout prix serait de jeter l’opprobre sur l’eco, du simple fait que ce serait le président Ouattara, en présence d’Emmanuel Macron, qui aurait annoncé que les pays de l’Uemoa allaient l’adopter en substitution du franc CFA ! Nous ne devrions pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » !

Il ne faudrait pas que le désir d’union qui doit nous habiter occulte le fait que nous n’avons pas tous les mêmes intérêts en matière de politique monétaire

On doit se souvenir que l’adoption de l’eco et du statut fédéral de sa Banque centrale ainsi que l’accord donné par la Cedeao aux pays répondant aux critères de convergence pour démarrer l’aventure de la monnaie commune sont autant de décisions antérieures au 21 décembre. Il faut en conséquence s’approprier dès maintenant le projet et le poursuivre dans l’esprit originel des autorités de la Cedeao afin d’atteindre l’objectif.

Une attitude déjà encouragée par le Ghana – qui s’est réjoui le 28 décembre de la décision des États de l’Uemoa sur l’eco et a annoncé son intention de les rejoindre – et par les chefs d’État de la Cedeao –, qui, lors du sommet du 21 décembre 2019, ont affirmé que cette « réforme de la zone monétaire de l’Uemoa facilitera[it] son intégration dans la future zone monétaire eco de la Cedeao ».

Au demeurant, il ne faudrait pas que le désir d’union qui doit nous habiter occulte le fait que nous n’avons pas tous les mêmes intérêts en matière de politique monétaire proactive ou de fixation des taux de change. C’est pour cela également que les discussions entre les États partenaires ne doivent pas conduire à des consensus mous. Les décisions arrêtées doivent résulter de négociations sérieuses de telle sorte que chacun puisse évaluer et apprécier ce qu’il y gagne et ce qu’il y perd.

Consolider la Communauté

Je suis un partisan de l’intégration africaine comme peuvent en attester mes expériences professionnelles, à la BOAD et au sein de groupes privés panafricains ainsi que ma participation à la création du fonds d’investissement Africa 50. Je n’en suis pas moins convaincu qu’il faut traiter sérieusement les intérêts des uns et des autres, se préparer à des arbitrages douloureux, afin que l’espace Cedeao reste cohérent et attractif et que la monnaie eco participe efficacement à la transformation et au renforcement des structures économiques nationales dans l’intérêt des populations.

En définitive, il s’agit d’arriver à consolider la Communauté et non de satelliser certains États voire, pire encore, d’en vassaliser d’autres !

Il est donc fondamental qu’à côté du puissant Nigeria il y ait au moins un pôle soudé comme le sont les huit anciens pays de l’Uemoa – bénéficiant de la forte expertise et de l’expérience de la BCEAO – pour faire avancer la Communauté. Bien entendu, la solution optimale serait que le Ghana accepte de rejoindre les pays de l’Uemoa au début de leur période eco pour que ce nouveau bloc puisse mieux négocier avec le Nigeria.

Il est tout aussi important que l’énergie de tous les groupes d’acteurs sociaux soit positivement tournée vers les autorités des États de la Cedeao pour accélérer l’unité de gouvernance politique de notre sous-région. Ce serait en effet la seule façon de garantir l’application des politiques monétaires dévolues aux futures institutions centrales appelées à gérer l’eco.

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