[Tribune] Cameroun : la diaspora, ennemie de l’intérieur

Les échanges d’amabilités se poursuivent entre Paul Biya et ses compatriotes vivant à l’étranger. Le président camerounais n’a de toute évidence pas digéré les manifestations d’activistes émaillées de violences organisées lors de ses récents séjours en Europe.

Des manifestants de la diaspora camerounaises se font disperser avec des canons à eau alors qu’ils protestent devant l’hôtel où réside Paul Biya, à Genève, le 29 juin 2019. © MARTIAL TREZZINI/AP/SIPA

Des manifestants de la diaspora camerounaises se font disperser avec des canons à eau alors qu’ils protestent devant l’hôtel où réside Paul Biya, à Genève, le 29 juin 2019. © MARTIAL TREZZINI/AP/SIPA

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  • Georges Dougueli

    Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

Publié le 16 janvier 2020 Lecture : 3 minutes.

Il en a encore parlé dans son traditionnel discours du 31 décembre, critiquant le « comportement excessif de certains de [ses] compatriotes de la diaspora – qu’ils soient ou qu’ils ne soient plus camerounais » : « Je pense qu’ils devraient, par patriotisme, s’abstenir de propos négatifs à l’égard de leur pays d’origine, a ajouté Paul Biya. On doit toujours respecter sa patrie, ses institutions et ceux qui les incarnent. » Le chef de l’État a eu beau faire un effort de pédagogie, il est peu probable que ses propos contribuent à apaiser ses relations avec ses détracteurs.

Il faut dire qu’en opérant une distinction entre ceux qui sont camerounais et ceux qui ne le sont plus, il crée une catégorie de citoyens de seconde zone. Alors que le Cameroun ne reconnaît pas la double nationalité, ceux qui en ont acquis une nouvelle et ont, de ce fait, perdu celle qu’ils avaient à l’origine – ou qui y ont renoncé –, avec tous les droits y afférents, n’en sont pas moins soumis, selon le président, à l’obligation de se montrer patriotes. Autrement formulé, ils n’ont aucun droit, mais des devoirs !

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Migrants économiques

Comment peut-on exiger l’amour de la patrie de personnes dont les lois nationales ont planifié l’exclusion ? D’hommes et de femmes qui sont à la fois inéligibles et interdits de vote, mais aussi soumis à l’obligation d’obtenir un visa pour partir en vacances ou rendre visite à leur famille dans leur pays d’origine ?

Bien sûr, on peut comprendre – à défaut de la partager – l’acrimonie qu’éprouve Paul Biya à l’égard notamment de ceux qui font le siège des hôtels français et suisses où il aimait tant séjourner. Mais le chef de l’État doit savoir qu’eux aussi ont des motifs de récrimination.

Depuis les années 1990, le profil des « diaspos » a en effet changé. Ce ne sont plus majoritairement des étudiants, originaires de familles de cadres, globalement éduquées. Ce sont désormais et pour beaucoup des migrants économiques, des jeunes issus de milieux moins favorisés, qui se sont résolus à prendre la route de l’exil à mesure que la situation du Cameroun se dégradait.

Ils ne se satisferont jamais de n’être perçus, par les autorités, que comme des pourvoyeurs de devises

À la fin des années 2000, la tendance s’est encore accentuée quand les classes moyennes ont, à leur tour, rejoint le flux des voyageurs. Ils émigrent au loin mais ils gardent des attaches familiales et, parfois, des biens immobiliers au pays.

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Dès lors, il est illusoire de croire, ne serait-ce qu’une seconde, que ces personnes pourraient se résigner à se laisser déposséder de toute possibilité d’améliorer la gouvernance du Cameroun. Ils ne se satisferont jamais de n’être perçus, par les autorités, que comme des pourvoyeurs de devises – en 2018, selon la Banque mondiale, les migrants camerounais ont transféré environ 201 milliards de F CFA (306,4 millions d’euros) dans leur pays d’origine.

Dispositif rétrograde

Ils n’accepteront jamais qu’un nationalisme ombrageux remette en question la loyauté d’une diaspora traitée, selon les cas, en « onzième région » du pays ou en « cinquième colonne ». Certes, il n’y aurait pas de guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sans les financements d’une partie des émigrés anglophones. Il serait cependant plus judicieux de s’attaquer aux causes profondes de ce conflit dévastateur plutôt qu’à ses seuls symptômes.

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Le Cameroun a le choix. Il peut instaurer la double nationalité, comme l’a fait la grande majorité des pays du continent, qui a une approche plus respectueuse et valorisante de la diaspora. Cette mesure aurait l’avantage de lever les entraves à la mobilité et permettrait d’engranger les bénéfices économiques et affectifs de l’ouverture. Il peut aussi maintenir ce dispositif rétrograde et contre-productif, qui se préoccupe d’exclure au lieu de rassembler. Mais il devra alors se résoudre à vivre avec cet ennemi de l’intérieur.

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