Ville des soupirs

Important centre de la traite négrière, capitale du vaudou, la cité se réveille grâce au tourisme.

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Blottie à l’ombre d’arbres généreux, à proximité de la côte, Ouidah semble bien tranquille. Qui pourrait imaginer que la localité fut, aux XVIIIe et XIXe siècles, un centre important de la traite négrière ? Depuis 1993, ce funeste trafic est symbolisé par la porte du Non-Retour, un imposant monument érigé par le Bénin avec l’aide de l’Unesco. Pour y accéder, il faut emprunter cette piste des soupirs que suivaient autrefois les esclaves avant d’être embarqués pour le « Nouveau Monde », aujourd’hui jalonnée par les symboles statufiés des rois d’Abomey.
Mais Ouidah porte des stigmates plus anciens de cette époque troublée. Il y a la place Cha-Cha, où femmes et enfants se rassemblent souvent, en fin d’après-midi, sous un immense manguier. Quand le trafic négrier battait son plein, elle abritait le marché aux esclaves. Il y a également les maisons coloniales, anciennes factoreries aux façades baroques et aux grands murs ouvrant sur de paisibles cours. Témoigne également de ce passé un musée, situé sur l’ancienne concession du fort portugais Saint-Jean-Baptiste-d’Ajuda, qui raconte, objets, tissus, documents et gravures à l’appui, l’histoire de la découverte des côtes d’Afrique, de la ville et de la traite, mais aussi du culte vaudou.
Fondé au XVIe siècle par le roi Kpassé, Ouidah aurait d’abord été la capitale du petit royaume de Savi. Son nom viendrait de la déformation de Houéda, tribu éponyme qui occupait alors le royaume. C’est là, dit-on, que vers 1430 un nommé Kpaté, cultivateur de son état, vit mouiller à quelques encablures du rivage un navire venu d’un autre monde, d’où descendirent des hommes blancs. D’autres caravelles suivront. Progressivement, Portugais, Anglais, Danois, Français et même Espagnols installent à Ouidah des comptoirs fortifiés, bases de leur commerce triangulaire entre l’Afrique, les Amériques et l’Europe. La traite se développe : denrées européennes contre produits agricoles tropicaux et esclaves. Le commerce devient si juteux qu’entre 1741 et 1743 le roi d’Abomey, dont la capitale est située à une centaine de kilomètres plus au nord, annexe Ouidah. Désormais, il bénéficie d’un accès direct à la mer. Le corps des douaniers est constitué et, avec lui, l’organisation économique et administrative du royaume. Plus rien ne peut freiner les « bonnes relations » commerciales entre firmes européennes et potentats locaux.
Le nom de Ouidah est inséparable de celui de Bahia, au Brésil. Bahia fournissait des marchandises de retour très prisées à Abomey, comme le tabac et le cachaça (rhum). C’est du Brésil que sont venus d’anciens esclaves affranchis comme Francisco Félix de Souza (il a donné son surnom, Cha-Cha, à l’ancien marché aux esclaves), qui fut désigné gérant de la ville par le roi Guézo. Installés à Ouidah, ils animeront à leur tour le commerce honteux, dont ils tireront de substantiels bénéfices.
La ville restera le principal port du Dahomey jusqu’à la conquête française et la construction du wharf de Cotonou, avant de s’assoupir, près d’un siècle durant, au milieu de ses champs et de sa végétation touffue. Son réveil viendra du développement du tourisme et de l’organisation de festivals, celui du Vaudou en 1993 et, plus récemment, le festival Gospel et Racines. Car ce haut lieu historique, appelé aussi Gléhoué, « la maison des champs », en référence à Kpaté, reste la capitale du vaudou, encore très largement pratiqué. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller au temple animiste des pythons. Situé face à la cathédrale, il perpétue le culte de Dangbé, le « bon serpent » qui figure parmi les nombreux vodouns ou divinités, intermédiaires entre Dieu et les hommes, auxquels les fidèles rendent un culte. On pourra aussi apercevoir lors des fêtes locales ou nationales les prêtres vaudous, identifiables par leur pagne chatoyant, leur crosse et autres attributs. Plus difficile sera d’entrer dans les couvents ou de participer aux différents rites d’initiation et de renaissance, aux cérémonies qui consacrent les intronisations de prêtres. Murmures des ancêtres et des divinités, gémissements des fantômes des esclaves, transes des danseurs vaudous… Ouidah bruit aujourd’hui de mille soupirs.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires