Un homme intègre

L’ancien Premier ministre français Pierre Messmer rend hommage au père de la Nation mauritanienne, Moktar Ould Daddah, décédé le 15 octobre à Paris, à l’âge de 79 ans.

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Si j’ai bien connu la Mauritanie, où j’ai été commandant de cercle (dans le Nord, l’Adrar) puis gouverneur du territoire, au début des années 1950, je n’ai rencontré son président-fondateur, Moktar Ould Daddah, que plus tard. Il était le cadet de tous les chefs de gouvernement sous la loi-cadre (1957). Il se fit remarquer dans les Conseils exécutifs par ses questions ou ses appréciations sur les essais nucléaires français au Sahara et sur la guerre en Algérie. Il était le seul à évoquer ces sujets, avec une audace certaine, mais non sans que le général de Gaulle lui fasse savoir en audience privée ce qu’il en était. De même à propos de la guerre de Bizerte (1961), mais ce fut après l’indépendance de la Mauritanie (1958). Le président tunisien Bourguiba s’était dissocié spectaculairement du reste des États arabes, qui soutenaient la revendication marocaine sur la Mauritanie, en s’associant au contraire à la France pour parrainer l’adhésion de la Mauritanie aux Nations unies.
Moktar Ould Daddah, durant tout le temps qu’il fut au pouvoir, c’est-à-dire de 1957 à 1978, manifesta une haute conception de la politique, et une acception tenace et très pratique de ce qu’est la souveraineté nationale. Pragmatique, il a su ne pas braquer les notabilités traditionnelles. Tenant absolument au protocole et à l’égalité de principe entre États, il a refusé d’aller à Moscou parce que, cumulant les qualités de chef d’État, de gouvernement et de secrétaire général du parti, il ne voyait pas pourquoi il ne serait pas accueilli, par la « troïka » au complet, dès l’aéroport… Mais il savait être souple… Il a ainsi su saisir au bond l’invitation du roi Hassan II à participer au sommet islamique de Rabat (1969) et convaincre ses compatriotes que cette invitation équivalait à la reconnaissance de l’indépendance de la Mauritanie par le Maroc (septembre 1969). Avec la France, il n’accepta de signer des accords de coopération qu’après l’indépendance et seulement quand il fut certain que la Mauritanie allait être admise aux Nations unies. Pour la France, c’était une situation juridiquement périlleuse et politiquement délicate d’avoir à soutenir, sans accord de défense, un État ami revendiqué par un autre, également ami, et entre lesquels l’intermédiation était constamment refusée par le plus jeune… situation qui se reproduisit quand le Polisario s’engagea en force contre le partage mauritano-marocain de l’ancien Sahara espagnol.
Son silence – devant beaucoup d’interlocuteurs soucieux de s’imposer – a pu souvent passer pour des approbations tacites alors qu’il n’en était rien. Ce qui surprit souvent les politiques français. Mais il était homme de parole dès lors qu’il l’avait donnée explicitement – j’en ai reçu la preuve à propos de l’indemnisation des actionnaires de Miferma (Société des mines de fer de Mauritanie nationalisée en novembre 1974). Son éthique et son intégrité personnelles lui ont valu un prestige et une crédibilité rares dans le monde arabe et en Afrique. Il a su doter la Mauritanie d’une légitimité et d’une viabilité qui lui ont permis de jouer un rôle non négligeable au niveau continental.
Battre une monnaie nationale (1973) et nationaliser l’exploitation minière (1974) ajoutèrent à son prestige parmi les jeunes et les élites, souvent formés dans des universités étrangères. La France fit contre mauvaise fortune bon coeur, d’autant que nous n’étions pas convaincus que ce fût l’intérêt bien compris de la Mauritanie. J’étais alors Premier ministre et n’intervins pas dans la révision de nos accords bilatéraux.
Sa volonté de revenir au pays – ce qui fut possible le 17 juillet 2001 – et la parution de ses Mémoires (J.A.I. n° 2231) ne sont pas sans incidence, autant politique que morale, sur la situation délicate de la Mauritanie, entre la tentative de coup militaire en juin dernier et la prochaine élection présidentielle de novembre prochain.

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