Tragiques disparitions

Assia Djebar raconte l’amour dans l’Algérie des années 1990. Passion fulgurante, étreintes fougueuses et confidences douloureuses.

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 2 minutes.

Les drames à répétition que connaissent les Algériens depuis un demi-siècle leur offrent au moins une consolation : la succession d’événements tragiques auxquels ils sont confrontés constitue pour les écrivains une source d’inspiration inépuisable.
La rentrée 2003 ne faillit pas à la tradition. Parmi les livres ayant l’histoire contemporaine de l’Algérie pour toile de fond, les plus remarqués sont La Kahéna (Gallimard), de Salim Bachi (voir J.A.I. n° 2226), et Mon père, ce harki (Le Seuil), de Dalila Kerchouche. Malgré son titre énigmatique, le dernier roman d’Assia Djebar est de la même veine.
L’histoire se passe à l’automne 1991. Après vingt ans d’exil en France, Berkane, la cinquantaine, revient en Algérie, le coeur gros d’un échec sentimental : Marise, sa compagne, a mis un terme à leur relation. Il s’installe dans une maison familiale au bord de la mer, non loin d’Alger, ayant trouvé là un cadre propice à son projet : écrire.
Un jour, Driss, son frère, lui présente une jeune femme, Nadjia, elle aussi partagée entre l’attrait et la répulsion pour la mère patrie. Entre eux va naître une passion fulgurante, ponctuée d’étreintes fougueuses et de confidences douloureuses.
C’est ainsi que resurgissent chez Berkane les souvenirs de son enfance à la Casbah, une enfance marquée à la fois par l’éducation française et par la lutte de libération nationale. L’arrestation, à l’adolescence, par des soldats français à l’issue d’une manifestation, le passage obligé par un centre de torture, le séjour de plusieurs mois dans un camp hors d’Alger…
Ce n’est pas un hasard si l’auteur a situé le retour d’exil de Berkane à la fin de 1991. Nadjia décrit ainsi l’atmosphère de l’époque : « Le pays est devenu un volcan : les fous de Dieu, ou plutôt les nouveaux Barbares, s’agitent, occupent des places publiques, mobilisent les jeunes chômeurs et, surtout, maîtrisent les nouveaux médias. Tu sais, j’ai l’impression qu’ils vont gagner les élections. »
On sait ce qu’il en sera quelques semaines plus tard : la percée des islamistes au premier tour des législatives du 26 décembre, l’interruption du processus électoral, la démission du président Chadli Bendjedid, puis la plongée du pays dans la guerre civile.
Berkane n’assistera qu’aux prémices de cette descente aux enfers. En 1993, on retrouvera sa voiture dans un fossé, au bord d’une route de Kabylie. Vide. Aucun indice d’accident. La police comme ses proches seront bien obligés de conclure à l’enlèvement. On n’entendra plus jamais parler de Berkane.
Resteront toutefois ses écrits, en particulier les lettres destinées à Marise, qu’il n’a jamais envoyées, à travers lesquelles son histoire est en grande partie livrée au lecteur.
En prêtant sa plume à un narrateur masculin, Assia Djebar, qui a si souvent donné la parole aux femmes, démontre qu’à 67 ans elle n’a rien perdu de sa verve littéraire. L’évocation de la Casbah d’Alger des années 1950 est particulièrement réussie. Reste le titre du livre, qui renvoie à un thème cher à l’auteur, elle-même partagée – comme beaucoup de gens au Maghreb – entre sa langue maternelle, l’arabe, avec laquelle elle exprime ses sentiments intimes, et l’idiome du colonisateur, qui est devenu de façon irréversible la langue de sa pensée.

La Disparition de la langue française, d’Assia Djebar, éditions Albin Michel, 300 pp., 18,50 euros.

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