S’attaquer au système

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Les Béninois sont souvent frustrés quand la presse étrangère cite le Sénégal ou le Mali plutôt que leur pays comme modèle de démocratie et de stabilité en Afrique subsaharienne. N’est-ce pas pourtant ici, à Cotonou, qu’une conférence nationale mit spectaculairement fin, en février 1990, au régime de parti unique et à un marxisme-léninisme tropical à bout de souffle ? Cette grand-messe n’a-t-elle pas montré la voie aux autres peuples du continent encore soumis à la répression et à la dictature ? Les Béninois n’ont-ils pas connu depuis, et sans heurts, quatre élections législatives, trois élections présidentielles et leurs premières élections locales, symboles d’une décentralisation naissante ?
Pour parler du Bénin aujourd’hui, on peut sans doute continuer sur le registre du questionnement rassurant. Ou, ce qui revient au même, sur celui des comparaisons réconfortantes. Et souligner par exemple qu’à aucun moment la paix et la stabilité n’ont été menacées sur les bords du lac Nokoué, alors que les dernières années ont été marquées dans la région par le retour des coups d’État, des insurrections, des élections tronquées ou des révisions constitutionnelles instaurant la présidence à vie.
On peut, au contraire, choisir de se départir des éloges convenus de la jeune démocratie béninoise et évoquer ce qui empêche encore ce pays de tirer davantage profit de sa tranquillité. Avec l’enracinement de la démocratie, les Béninois ont pris goût à l’alternance « en boucle ». Ils se sont même bien amusés, congédiant en 1991 Mathieu Kérékou pour adouber Nicéphore Soglo, sanctionnant ce dernier cinq ans plus tard au profit d’un Kérékou repenti, reconduisant le « vieux caméléon » en 2001 pour un ultime mandat. Dernière fantaisie en date : les Cotonois ont offert en janvier dernier les clés de leur mairie à l’ancien président Soglo.

Après avoir fait tourner les hommes, les Béninois savent aujourd’hui que les joutes électorales ne suffisent pas à changer « le système », cet ensemble cohérent de pratiques qui régissent au quotidien la vie politique, économique et sociale et que tout le monde semble dénoncer tout en participant à sa pérennité. Point de salut pour celui qui n’intègre pas les règles non écrites, qui ne sait pas par exemple que tout se négocie et qu’il faut nouer coûte que coûte des amitiés politiques. Difficile de croire que la pléthore de partis – plus d’une centaine pour moins de sept millions d’habitants – témoigne d’un extraordinaire bouillonnement d’idées dans l’ancien « Quartier latin de l’Afrique ». On fait de la politique parce que cette activité peut non seulement se révéler intrinsèquement rentable, mais aussi parce qu’elle est essentielle pour la réussite économique, y compris dans le secteur privé. Ces traits ne sont certes pas une spécificité béninoise. Ils illustrent plus généralement les obstacles qui empêchent les démocraties africaines les plus établies d’offrir de meilleures perspectives à tous leurs citoyens.

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Le fameux système retarde l’épanouissement des talents au sein d’une jeunesse béninoise ouverte sur l’extérieur et avide de connaissances. C’est aussi lui qui fige les techniques de production et les conditions de vie de l’agriculteur de Dogbo-Tota, de Challa-Ogoyi ou de Toukountouna. C’est encore lui qui explique le contraste saisissant entre la fulgurance de certaines réussites individuelles et la modestie des réalisations collectives. Le coeur du problème, ce sont les « signaux » qu’il donne : il survalorise l’affairisme de courte vue et sous-rémunère le travail bien fait. Comment motiver le médecin de la fonction publique qui gagne 94 500 F CFA par mois (environ 144 euros) en début de carrière alors que le revendeur de voitures d’occasion, qui maîtrise toutes les combines, peut en obtenir autant en une journée ?
Les Béninois ont montré il y a treize ans qu’ils pouvaient réaliser des miracles en dix jours de conclave. Ils peuvent aujourd’hui marquer à nouveau l’histoire du continent en s’attaquant aux insuffisances de leur démocratie. Un pays qui ne craint pas de choisir le très inoffensif écureuil comme emblème de son équipe nationale de football peut surprendre à tout moment.

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