Par-delà la royale surprise

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

Qu’elles soient gouvernementales, parlementaires ou composées d’experts, les commissions n’ont généralement pas bonne presse. Au Maroc, comme ailleurs. Et celle qui avait été chargée de réviser le Code du statut personnel des femmes – la Moudawana – comme les autres. Dans les associations féministes et les comités de défense des droits de l’homme, on se repassait un film qui avait des airs de « déjà-vu » : les espérances déçues par la pseudo-« réforme » de 1993 ; le piteux échec du gouvernement socialiste et de son « Plan d’action en faveur de l’intégration de la Marocaine au développement » qui avait jeté dans les rues, en mars 2000, des foules de femmes voilées et de barbus en colère ; les derniers avatars, enfin, avec cette « Commission consultative » créée en avril 2001 par le roi pour, croyait-on, confier à des oulémas, des sociologues et des universitaires le soin de doucher les passions avec ces arguties dont les « sages » ont fait leur fonds de commerce.
Autant d’épisodes qui expliquent pourquoi, voici quelques jours encore, nombreux étaient ceux qui pensaient qu’il était « urgent d’attendre », et, plus encore, de mettre en sommeil leurs espérances. Aucun de ceux-là n’avait vu la main qui, après avoir ramassé les copies laborieusement rédigées durant toutes ces années de réunions et de compromis, effaçait les désaccords entre les camps, biffait les détails inutiles et les procédures inapplicables ou trop complexes, dégageait les points les plus importants – 11, sur les 400 articles que compte la Moudawana -, corrigeait les formulations choquantes, et, surtout, rajoutait en marge, à l’encre verte de l’islam, les phrases qui sauraient convaincre l’ensemble de la communauté marocaine que cette religion n’est incompatible ni avec la démocratie, ni avec l’égalité, ni avec la dignité de chacun de ses membres, sans en exclure aucun.

La sidération provoquée dans le monde entier par le discours sur le nouveau Code de la famille, prononcé le 10 octobre par le roi Mohammed VI à l’ouverture de la session d’automne du Parlement, a été telle qu’on ne saurait reprocher aux adversaires traditionnels de la réforme les dizaines d’heures de flottement qui ont précédé leur approbation unanime. L’histoire à venir dessinera sans doute, dans le concert des applaudissements, quelques nuances : si Nadia Yacine et la fraction moderniste du PJD ont tout lieu de se réjouir sincèrement de l’adoption prochaine de mesures qui débarrassent le « référentiel islamique », dont ils s’autoproclament les meilleurs défenseurs, de discriminations sexistes difficilement soutenables y compris au sein de leur propre famille, d’autres, parmi ces islamistes radicaux qui ressentent chaque avancée sociale comme une menace sur leur influence politique, se contentent sans doute de faire, pour l’heure, « profil bas ». Ils ne sauraient oublier qu’après le traumatisme des attentats de Casablanca au mois de mai, ils ont, en face d’eux, la grande majorité de l’opinion publique de leur pays et la botte des services de sécurité sur la nuque.

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Symétriquement, dans les milieux réformateurs, on tempère parfois son enthousiasme : la méfiance que l’on éprouvait hier à l’égard des commissions se reporte aujourd’hui sur les députés, soupçonnés de trop bien savoir comment s’y prendre pour enterrer les propositions royales. On redoute les « mises en conformité » du Code civil, rendues nécessaires par la réforme, qui constitueront autant d’occasions de débats où les intérêts et les clans risquent de reprendre du poil de la bête. On se souvient de 1993, quand la volonté royale s’était déjà perdue dans les travées de l’Assemblée pour accoucher d’une « réformette ». On sait aussi, puisque la justice voit désormais ses responsabilités élargies et, partant, sa charge de travail alourdie, qu’il existe un risque de voir l’immobilisme succéder à l’arbitraire. On craint de constater que le nouveau Code se bornera à entériner des mesures d’ores et déjà appliquées dans les faits, telle l’interdiction d’une polygamie devenue très rare dans le Maroc contemporain. Bref, la « royale surprise » passée, on se prend tout de même à douter que l’effet d’annonce, aussi magistralement conçu, programmé et exécuté qu’il l’ait été, suffise à faire évoluer une réalité qu’on avait été bien obligé de considérer jusque-là comme immuable.
Loin de ce rôle de « souverain à l’espagnole » dans lequel certains avaient jadis voulu le confiner, Mohammed VI a pourtant tourné une page de l’Histoire comme, en d’autres pays et en d’autres temps, ce fut le cas avec la réforme des droits civiques pour l’égalité raciale. Les islamistes, contraints d’adhérer publiquement au principe d’une réforme que le Commandeur des croyants a voulue inscrite « dans la légalité islamique la plus stricte », ne pourront plus se déjuger. Dans les cercles proches du Palais, on balaie d’un sourire les atermoiements éventuels des députés : « Compte tenu de la clarté du message qui lui a été délivré, le Parlement ne s’attardera pas trop sur cette affaire », affirme-t-on à Rabat. Quant aux nécessaires modalités d’application, le roi les a prévues dès son discours d’origine, en évoquant jusqu’à l’ouverture de locaux convenables pour abriter les nouvelles juridictions de famille ou le renforcement du Fonds d’entraide familiale.

Enfin, il serait surprenant que les milliers d’hommes et de femmes qui ont, pendant des années, consacré leur vie à lutter pour l’égalité juridique entre les sexes observent passivement, sans s’y engager, la route qui vient d’être ouverte devant eux par le discours royal. C’est de leur action, de la manifestation permanente de leur volonté de changement, mais aussi des explications ou de l’aide qu’ils pourront prodiguer à tous les protagonistes que dépendra en définitive le succès d’une réforme venue d’en haut, qui peut devenir, pour tout un peuple, une formidable aventure.

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