Omar le Magnifique
Émouvant dans le film adapté du roman d’Éric-Emmanuel Schmitt, le célèbre interprète du « Docteur Jivago » ne se prend toujours pas au sérieux.
En découvrant le très touchant film français de François Dupeyron Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, chacun reconnaîtra dans le personnage principal, un vieil épicier « arabe » de Paris qui se prend d’affection pour un petit orphelin juif, le fringant prince Ali du célèbre classique Lawrence d’Arabie. C’est-à-dire le seul acteur d’envergure véritablement internationale qu’ait donné le monde arabe au cinéma : Omar Sharif.
Né dans une famille arabe chrétienne d’Alexandrie en 1932, – son vrai nom est Michel Chalhoub -, Omar Sharif a d’abord travaillé avec son père comme importateur de bois avant d’être remarqué par un autre Alexandrin et futur grand cinéaste du monde arabe, Youssef Chahine. Celui-ci lui a offert, en 1956, le rôle principal de son film Ciel d’enfer, aux côtés de celle qui était alors la jeune première la plus célèbre du cinéma égyptien : Faten Hamama. Hors plateau, c’est le coup de foudre, et Omar Sharif embrasse la foi musulmane pour pouvoir épouser la belle avec laquelle il tournera six films d’affilée. Mais déjà, le cinéma occidental lui tend les bras : le Français Jacques Baratier le fait venir en Tunisie pour tenir le rôle principal de son Goha. Le film est sélectionné et primé au Festival de Cannes où le célèbre réalisateur britannique David Lean le remarque et lui propose, en 1962, le rôle d’Ali. Le retentissement mondial de Lawrence d’Arabie est tel qu’il propulse l’acteur au rang de vedette à Hollywood, où il enchaîne les succès : après La Chute de l’Empire romain d’Anthony Mann, il retrouve David Lean pour le rôle principal de Docteur Jivago, puis William Willer pour Funny Girl, Terence Young pour Mayerling et Richard Fleisher pour Che, où il joue le rôle du révolutionnaire cubain Che Guevara !
Et pourtant, bien qu’ayant eu le privilège de tenir dans ses bras les plus grandes stars féminines, de Julie Christie à Barbra Streisand en passant par Catherine Deneuve, Omar Sharif n’a jamais pris la grosse tête. Sur le western L’Or des MacKenna, son partenaire Gregory Peck, en le voyant arriver sur le plateau en nage, lui déclara (une anecdocte qui m’a été rapportée par Omar Sharif lui-même) : « A star never sweat ! » (« Une vedette ne transpire jamais ! »). Or d’être une « star », Omar n’en a cure : passionné de bridge et de chevaux, Omar « flambe » ses fabuleux cachets hollywoodiens et, quand il est fauché, n’hésite pas à tourner une publicité télévisée pour Tiercé Magazine, que n’importe quelle vedette de son statut aurait refusée !
Dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran qu’Omar a tourné pour son soixante-dixième anniversaire, ce sont cette simplicité et cette gentillesse orientale dont il ne se départ jamais qui font, malgré un scénario où abondent les bons sentiments, de l’interprétation bouleversante d’Omar Sharif un monument d’émotion et de justesse. Mieux : en ces temps « post-11 septembre » où se développe la désinformation sur le monde musulman, ce film généreux a le culot de nous dire que l’épicier du coin de la rue trouve les racines de son humanisme et de sa sagesse dans… ce Coran si mal lu de nos jours. Pour l’affirmer, Omar Sharif évite avec maestria toute complaisance et tout cliché : le vieil épicier « arabe » se révèle en fait être turc et quand il emmène le petit garçon avec lui pour visiter son pays natal, celui-ci découvre (et le spectateur occidental avec lui) qu’à Istanbul une mosquée, une église orthodoxe et une synagogue ont le même air de famille et respirent la même sérénité ! On se souvient alors qu’Ibrahim est une des tournures du nom Abraham…
Acclamé pour son interprétation au récent Festival de Venise, où lui a été décerné un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière, Omar Sharif a su rester modeste et, prouvant qu’il ne se prenait toujours pas sérieux, a répété une des phrases prononcées par le vieil épicier dans le film : « Si je n’étais pas si âgé, je me lancerais bien dans le cinéma ! »
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