Libres de grogner

La censure n’existe pas et la presse affiche une belle vitalité. Reste à en améliorer la qualité.

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Une femme qui accuse de népotisme le responsable d’une caisse de crédit agricole dans le département des Collines, un homme qui s’insurge contre les expéditions de la police nigériane en territoire béninois pour traquer un receleur de voitures – « une honte pour le gouvernement » -, un autre qui fulmine contre le stationnement anarchique des camions dans les rues de Cotonou, un autre encore qui exige du ministre des Travaux publics le bitumage immédiat de la route Adjohoun-Kpédékpo, à l’est du pays… Ça râle ferme entre 6 h 30 et 7 heures du matin sur Golfe FM, « la radio magique ». L’animateur, « Fréjus », donne la parole aux auditeurs dans La Grogne matinale, l’une des émissions phares de cette radio privée qui émet sur la bande FM à Cotonou et bien au-delà des frontières grâce à Internet et au satellite Worldspace.
Le paysage médiatique béninois a ses stars et ses émissions cultes. Parmi celles-ci, la revue de presse dominicale d’Orphéric Frédéric Hountondji sur LC2, première chaîne de télévision privée du pays. D’une voix enflammée, le journaliste parcourt les grands titres de la presse locale, dominés par les querelles des politiciens, avant de finir en fanfare par La Revue de Babel, une chronique désopilante des faits divers les plus saugrenus rapportés par les quotidiens « trash » de Cotonou. À côté d’eux, les tabloïds londoniens paraissent bien vertueux. Ici aussi, on essaie de répondre à la curiosité du public. Les deux chaînes privées de télévision, LC2 et la toute nouvelle Golfe Télévision, l’ont bien compris. Dans leur grille de programmes, des informations, bien sûr, mais surtout des films d’action, des feuilletons brésiliens et des vidéoclips de tous horizons.
Ainsi vont les médias, dans ce pays qui s’est débarrassé du parti unique, de la censure de la presse et de toutes les privations de liberté au lendemain de la Conférence nationale de février 1990, synonyme de renouveau démocratique. Treize ans plus tard, le bouillonnement médiatique ne s’est toujours pas tassé. Une vingtaine de quotidiens privés paraissent à Cotonou, Porto-Novo et Parakou, leur nombre fluctuant au gré des disparitions et des nouvelles créations. Le mois de septembre a ainsi vu naître Le Paradoxe. Pourtant, comme le signale Reporters sans frontières (RSF), l’organisation de défense de la liberté de la presse, dans son rapport annuel 2002, « l’apparente vitalité de la presse béninoise est trompeuse ». « La situation des médias est difficile, reconnaît Agapit Maforikan, le directeur de publication du Matinal, quotidien le plus lu du pays, et président en exercice de l’Union des journalistes de la presse privée du Bénin. Ce n’est pas facile pour les journalistes. Nous sommes privilégiés au Matinal : le groupe dispose de sa propre imprimerie, d’une agence de communication, et vient de lancer une radio, Océan FM. Nous actualisons chaque jour notre édition en ligne, ce qui est rare ici. Mais nous ne tirons qu’à 5 000 exemplaires au maximum, ce qui est très peu par rapport aux journaux sénégalais ou ivoiriens, par exemple… »
Vendus à 200 F CFA (0,3 euro), les quotidiens ont du mal à conquérir les lecteurs au-delà du cercle restreint des « intellectuels » de Cotonou. Comme il faut bien vivre, la tentation de se faire parrainer par des hommes politiques est très forte. Maforikan l’admet : « Beaucoup de journaux ne vivent pas de leurs ventes, ni des publicités, qui sont largement insuffisantes. Au moins une dizaine sont liés à des intérêts politiques, mais la corporation essaie de se réformer et d’être plus crédible. À cette fin, nous avons tenu en novembre 2002 des états généraux, et décidé de seize chantiers pour la presse béninoise. » Des chantiers allant de la mise en place d’un fonds d’aide à la presse privée à l’instauration d’une carte de presse, en passant par la création d’un bureau de vérification de la publicité…
Même si les procès en diffamation contre les journalistes se font plus rares, certains continuent à prendre quelques libertés avec les règles de la profession. L’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias (Odem), créé en mai 1999, a précisément pour mission de redorer une image passablement écornée après des histoires de rétributions indues de journalistes par des hommes d’affaires et/ou des personnalités politiques. Dans un secteur où les salaires s’échelonnent entre 40 000 F CFA et 150 000 F CFA (60 euros et 228 euros, la plupart étant plus proche du plancher que du plafond), les codes de bonne conduite ont du mal à influencer les comportements. « Il y a aussi un problème de qualification. Beaucoup de jeunes diplômés sans emploi se sont improvisés journalistes, pensant qu’il suffisait de savoir plus ou moins écrire, commente le directeur de publication du Matinal. Pour les patrons de presse, c’est aussi une solution de facilité qui ne coûte pas cher. »
Toutes ces limites ne changent rien au fait que le Bénin est l’un des pays africains où la presse est le plus libre, critiquant parfois violemment les différents gouvernements. Personne ne semble nostalgique des années où les ondes étaient monopolisées par l’Office de radiodiffusion et de télévision du Bénin (ORTB) et l’offre de lecture limitée au quotidien officiel Ehuzu, devenu depuis La Nation. Un journaliste confie, sous couvert de l’anonymat, qu’« il y a même trop de liberté ». Nombreux sont ses confrères de la sous-région à rêver d’un tel environnement. Signe de la situation plutôt enviable de la presse, le rapport mondial 2003 de RSF ne contient plus une seule ligne sur le Bénin. Mais la corporation ne baisse pas la garde. En avril dernier, une journée « presse morte » a été décrétée – et très suivie – pour protester contre les violences commises par la police sur quatre journalistes. L’Union des journalistes de la presse privée s’était alors fendue d’un communiqué condamnant « ces actes qui mettent en péril la démocratie béninoise et la liberté de presse chèrement acquise ».
Mais les défis de la qualité et du professionnalisme restent à relever, et les conditions de travail ne sont pas près de s’améliorer. Les hommes et les femmes qui jouent un rôle clé dans le fonctionnement de la démocratie béninoise, en permettant aux populations de grogner en toute liberté, gardent toujours la foi. Comme Luc-Aimé Dansou, ancien du Matinal et du Matin, un autre quotidien de Cotonou, qui vient de lancer un bihebdomadaire, L’Express du matin, y voyant un moyen de gagner un peu plus d’indépendance. Tout en proposant ses services à la chaîne de télévision LC2. « La vie est dure, mais on se débrouille », résume-t-il, attablé au Carrefour de la diaspora, un « bar-bus » situé sur la place des Martyrs, l’un des lieux de ralliement du microcosme médiatique local.

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